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vouloir ériger la mimique en art principal et demander qu’elle fasse vis-à-vis à la sculpture ou à la peinture dans le chœur des Muses. Si l’on nous permet à nous aussi cette métaphore, nous dirons que, dans cette sorte de contredanse que l’on fait jouer aux deux séries des arts, il serait à prouver que ce côté est départi à la mimique.

Il est une autre considération plus sérieuse sur laquelle on nous paraît aussi beaucoup trop insister. Si cet art, nous dit-on (Id., ibid.) la mimique, a occupé jusqu’ici un rang d’infériorité parmi les arts, cela tient surtout au défaut de fixation de ses œuvres. Un des caractères, en effet, de l’art mimique, c’est que son œuvre ne dure pas, mais disparaît à mesure qu’elle se produit. Le temps l’emporte tout entière. Il n’y a pas de gamme ou d’alphabet pour la fixer ou l’écrire, comme pour la musique ou la poésie.

Cela est très vrai ; mais à quoi cela tient-il ? On ne le dit pas. On ne dit pas non plus le moyen de remédier à un tel inconvénient. Longtemps, il est vrai, il en fut de même de la musique.

Aussi toutes les grandes compositions de la musique ancienne sont perdues. Mais celles de la musique moderne sont notées, écrites, et par là impérissables. Il n’en est pas de même de l’art chorégraphique et mimique. Les chefs-d’œuvre de cet art ont péri ; des monuments si intéressants n’ont pas même laissé de ruines : etiam periere ruinæ. Pourquoi, dit-on, le moyen de fixation ne serait-il pas trouvé ? Lavater l’a essayé, non sans succès, pour la physiognomonie et la pathognomonie. Par malheur, il ne représente la mimique que dans un seul instant, non dans la succession de ses mouvements. Mais le moyen, dit-on, peut être perfectionné[1].

  1. Plusieurs tentatives ont été faites à ce sujet, en particulier pour la danse, d’où le nom de chorégraphie donné à ces essais : art d’écrire la danse avec les figures et les pas au moyen de signes conventionnels. Le plus ancien ouvrage fut publié en 1588, sous le titre d’Orchésiographie, par un chanoine de Langres, Jehan Tabourot, sous le nom de Toinetarbeau. Plus tard, Beauchamp, maître des ballets de Louis XIV, et Feuillet, maître de danse, publièrent simultanément des traités sur la chorégraphie. Il en résulta de nouveau un procès que le Parlement décida en faveur de Beauchamp. Le livre : la Chorégraphie, art d’écrire la danse, etc., parut en 1701. Les préceptes qu’il contient ont été adoptés, sauf modifications légères, par Dupré et Noverre. Il y a des signes qui indiquent sur le papier la position des pieds : un petit cercle ou un petit noir indique le plan du talon, et une ligne qui en part marque la direction du pied sur le parquet. Les détails et la durée des pas sont indiqués par des lettres ou par des tirets » Le plié, le sauté et autres agréments des pas sont marqués par de petits tirets et les tournoiements par des demi-cercles, quarts de cercle et cercles entiers. Les mouvements des bras sont également indiqués d’avance. — L’art de la chorégraphia est demeuré imparfait ; car, selon la remarque de Noverre, « s’il indique l’action de pieds et les mouvements des bras, il n’indique ni les positions, ni les contours qu’ils doivent avoir, il ne montre ni les attitudes du corps, ni les effacements, ni les oppositions de la tête ». (Dict. des lettres et des beaux-arts, Bachelet et Dézobry, art. Chorégraphie.) Il y a bien d’autre desiderata que Noverre ne signale pas.