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BÉNARD.la mimique dans le système des beaux-arts

Ce qui est clair, c’est que le moyen n’est pas trouvé. Les apologistes en gémissent, mais qu’y faire ? proposent-ils un remède ? ne disent-ils pas que c’est un grand obstacle au progrès de cet art ? (Schasler, ibid., 107.)

L’inconvénient est réel ; mais d’où vient-il ? Ne tient-il pas à l’essence de la mimique ? (Voy. infra.) Est-ce une mauvaise chance, un hasard qui condamne cet art à n’avoir pas de signes pour se fixer ? En attendant, tous les autres arts ont cet avantage, La gravure éternise les œuvres de la peinture. La musique a sa gamme, sa phonographie. Elle, la mimique, ne laisse rien après elle. Le temps dévore ses œuvres à mesure qu’elles se produisent. Elle n’a ni alphabet ni grammaire, comme les arts du dessin.

Le fait est que la mimique est totalement dépourvue des moyens de reproduction de ses œuvres dont jouissent les autres arts. Les siennes disparaissent sans laisser après elles d’autres traces que les éloges enthousiastes prodigués à ses effets par ses admirateurs et ses apologistes.

Si, écartant ces raisons peu solides, on s’attache à celles qui sont réellement sérieuses, elles se réduisent à deux principales que font valoir les apologistes, soit théoriciens soit historiens, de cet art : 1o un argument direct tiré de la puissance expressive ou représentative de la mimique ; 2o un argument indirect ou historique emprunté au rôle que cet art a joué chez tous les peuples, à toutes les époques. Tous deux doivent être soumis à un examen critique.

1o Quelle est, au juste, la valeur du langage mimique ? quelle en est la portée, quelles en sont les limites ?

C’est le point capital à examiner.

Quand on dit que, par sa puissance d’expression, la mimique peut rivaliser avec les autres arts, avec la musique, avec la peinture, on commet, selon nous, une équivoque et on est dupe d’une grossière erreur. On tombe du moins dans une exagération telle que, si l’on prend la chose à la lettre, elle devient même, on peut le dire, absolument ridicule. Il en est ainsi dès qu’on vient sérieusement à y réfléchir.

Réduite à ses propres moyens, privée des intonations de la voix par laquelle elle s’associe à la parole, cette langue muette, la mimique proprement dite, est en effet beaucoup moins riche et surtout beaucoup moins claire qu’on ne se l’imagine. Ce qu’il lui est donné d’exprimer, elle le rend sans doute avec beaucoup de vivacité et d’intensité. Son vrai caractère et son avantage est surtout d’être éminemment pathétique. Mais c’est tout. Au delà de ces étroites limites, son impuissance est radicale. Cela tient surtout aux maté-