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Encore fallait-il que le sujet fût parfaitement connu de ceux qui assistaient à cette représentation. Si un pareil spectacle intéressait si vivement les Romains et s’ils goûtaient si fort la traduction mimique de la harangue, c’est qu’ils la savaient par cœur et que leur mémoire leur en fournissait le texte. Eux-mêmes étaient de moitié, pour ne pas dire plus, dans la représentation qui leur était donnée. Autrement, l’acteur aurait eu beau gesticuler, mettre à contribution tous les signes qui s’adressent aux yeux, épuiser tous les trésors de son vocabulaire mimique, parler en perfection sa langue, il en aurait été pour ses frais de pantomime, d’attitudes, de jeux de la physionomie. Hormis les situations générales, il n’aurait pas été compris ; il n’eût proposé que des énigmes[1].

Il serait oiseux d’insister si de savants auteurs n’avaient donné dans cette banalité et ne l’avaient maintes fois reproduite.

Veut-on une démonstration comique et qui n’est pas plus mauvaise, on n’a qu’à relire la scène très amusante, dans Rabelais, de la dispute par signes entre Thaumaste et Panurge. La prétention d’exprimer par la mimique ce que le langage parlé est seul capable de rendre d’une façon intelligible et sans équivoque y est tournée en ridicule de la manière la plus plaisante[2]. (Pantagruel, liv.  II, ch.  xviii.)

Quand donc de ces exemples on a retranché ce qui est métaphorique et hyperbolique, il reste ce qui a été dit : que la mimique n’exprime et ne peut exprimer que des situations générales, des sentiments généraux, des émotions, des passions dans leur développement successif, mais toujours général. Quant à ce qui est d’ordre intellectuel et s’adresse proprement à l’esprit, aux idées, aux actes d’entendement ou de volonté, à leur suite ou leur enchaînement logique, à la marche du raisonnement, etc., bref à tout ce qui est le fond du langage humain ou du discours, tout cela lui échappe entièrement, est en dehors de sa portée. Cette limite est infranchissable.

Ceci s’applique surtout à la mimique quand on la compare aux arts de la parole, à la poésie et à l’art oratoire. Le fait est qu’il faut singulièrement en rabattre de cette prétention de l’art des gestes, tant vanté chez les Romains, de rivaliser avec les arts qui ont à leur disposition un instrument d’une puissance expressive merveilleuse donné à l’homme seul, dont il abuse sans doute, mais

  1. Voy. Du Bos, t.  III.
  2. Je ne me donnerai pas la peine de relever ce qu’il ÿ a d’exagéré dans les exemples plus modernes cités aussi à l’appui de la thèse, où il s’agit d’une traduction analogue de pièces de théâtre par des acteurs célèbres : la Sémiramis de Voltaire, par Lecain ; les essais de représentation, à Sceaux, des Horaces de Corneille, etc. Voy. Du Bos, Eberhard, etc.