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lui qui, animé de l’esprit, par ses formes, ses airs, ses attitudes, ses mouvements et ses gestes, représente ou exprime tout ce que l’artiste veut lui faire dire, exprimer ou imiter.

Bref, c’est la personne humaine elle-même animant ce corps qui nous est donnée en spectacle, ou qui se met en scène.

Or, il est à remarquer qu’il n’en est pas ainsi des autres arts : 1o ils ne nous donnent que des apparences ; 2o  tous, sans en excepter un seul, emploient, pour représenter ces apparences, une matière qui leur est étrangère.

Ainsi en est-il, par exemple, de la statuaire, l’art le plus voisin de la mimique. Le corps humain n’y est donné que comme apparence, Je plus souvent non colorée. Cette apparence qu’elle met sous nos yeux, qu’elle façonne à sa manière, dont elle fait une image idéale, n’est qu’un signe, un simulacre. Ce signe (signum), c’est la statue. Ce n’est qu’une forme confiée à la matière, à la pierre, au métal, au bois, etc., et elle est là, immobile. Ce que fait la statuaire, la mimique ne le fait pas et ne saurait le faire. Au lieu de créer ou de façonner ainsi une image de la forme humaine et pour cela d’employer une matière étrangère et indifférente, elle se sert du corps humain lui-même. C’est lui, le corps vivant, présent et réel, qui est le symbole, le signe représentatif de l’idée ; il est l’intermédiaire direct entre le spectateur et le spectacle. L’artiste mimique qui représente l’idée devient ainsi, en quelque sorte, l’œuvre d’art lui-même. Il est cause et effet, tout à la fois la matière et la forme, comme dirait Aristote. Dans ce dessein, se servant de son corps, Il le rend, il est vrai, plus beau ou plus laid, plus pathétique ou plus comique. Il peut, s’il le veut, le rendre difforme ou grotesque, ou lui donner plus de beauté, de grâce ou d’élégance, régler et harmoniser ses mouvements. I] met dans ses attitudes, ses airs, son maintien, ses poses et ses gestes, plus de noblesse, de grâce, etc. Par là il est artiste ; mais : l ne peut toujours se séparer de son œuvre. Celle-ci reste attachée à sa personne ; elle prend sa place, l’annule. Ce qui est pire, elle en fait un mensonge vivant.

Tel est le mode propre de représentation de la mimique.

On pourrait croire que c’est pour elle un avantage ; c’est précisément ce qui fait son infériorité, ce qui l’empêche d’être classée parmi les arts libres et véritables.

Nous devons insister sur ce point capital, qui, au premier abord, a l’air d’un paradoxe.

Comme l’a dit très bien Aristote, ce qui distingue l’art de la nature, l’œuvre d’art de la production naturelle, c’est que l’artiste qui crée cette œuvre s’en détache, que celle-ci créée par lui se sépare de lui,