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BÉNARD.la mimique dans le système des beaux-arts

les arts principaux, supérieurs et véritables. Ce sera toujours un jeu, un amusement, un divertissement, affecté à des fins inférieures. Elle ne peut racheter cette infériorité qu’en s’alliant à des arts plus nobles, en se mettant à leur service, comme elle le fait en s’associant à la musique ou à la poésie, au drame, à l’art oratoire, etc.

Des objections peuvent être faites ; nous croyons pouvoir y répondre.

1o Le chant n’est-il pas dans le même cas que la mimique ? — D’abord la musique elle-même y est associée à la parole. — Nous parlons de la mimique proprement dite, de la mimique muette, de la pantomime et de la danse ou de l’art chorégraphique. Le chant nous introduit déjà dans un tout autre domaine, celui de l’art musical.

Encore faut-il que la distinction soit faite et maintenue entre le compositeur et le chanteur, sans compter la part du poète ; le chanteur comme artiste n’est qu’exécutant.

2o Une objection plus sérieuse a été formulée par un philosophe distingué, lui-même esthéticien et théoricien de l’art :

« De ce que l’artiste mimique, dit Krause, doit faire de son corps un moyen pour représenter une beauté indépendante de sa personnalité, il n’en résulte pour cela nullement un abaissement de sa propre personnalité ; car devenir un moyen pour que le beau soit réalisé, cela confère plutôt un honneur, s’il est vrai que le beau c’est le divin. Si donc l’artiste mimique maintient d’ailleurs la dignité de son caractère dans sa vie et si le beau mimique qu’il représente est réellement beau, la dignité de son caractère n’est pas affaiblie par son art mimique. Au contraire quelque chose de parfaitement digne y est ajouté[1]. »

La remarque par un côté est juste, mais le philosophe allemand ne semble pas avoir bien compris la question telle qu’elle est posée. Sans doute l’homme qui représente ou plutôt ici qui réalise le beau dans sa personne, surtout si c’est le beau moral, loin de nuire à sa dignité, y ajoute. Mais c’est de l’art qu’il s’agit, de l’art qui, comme simple représentation, se borne à l’apparence. Celle-ci doit-elle se confondre avec la personne ? Et la personne véritable doit-elle s’effacer pour montrer ou représenter une autre personne apparente ou fictive ? Là est toute la question. Il ne faut pas non plus oublier que ce n’est pas seulement le beau que l’art et surtout l’art mimique représente ; c’est aussi le laid, le comique, le grotesque, le bas, le vulgaire, toutes les formes du grotesque et du comique. Convient-il à la personne morale de prendre ou de revêtir tous

  1. Vortes, über Aesthetik., p. 227.