Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVIII, 1889.djvu/271

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
261
BÉNARD.la mimique dans le système des beaux-arts

un individu ou plusieurs individus vivants simulant des groupes ou des personnages, dans la pose, les attitudes et les formes que la statuaire elle-même exécute. Le regard sans doute sera satisfait, car la similitude est parfaite. Il se trouve qu’un pareil spectacle, fait pour repaître les yeux d’un public grossier, choque le sens de l’art et répugne au goût plus cultivé. L’amateur s’en détourne. Dès que l’on soupçonne la vie sous cette apparence de pierre, le charme est détruit ; l’illusion elle-même fait tort à la réalité. Cette mimique elle-même immobile, qui cherche à simuler la sculpture véritable, en alliant la vie à ce qui na pas de vie, mais ce qui doit être le symbole idéalisé de la vie, est repoussant. Les deux arts se détruisent en voulant s’imiter.

Mais si, au lieu de vouloir se copier ou rivaliser entre eux par des moyens qui leur sont propres et se contredisent, les deux arts consentent à s’allier et à s’entr’aider, chacun d’eux reprend son importance et rentre dans ses droits, comme il est maintenu à sa place et à son rang parmi les arts.

La sculpture, comme la peinture, doit étudier le corps humain, ses formes les plus variées, ses airs et ses attitudes, le jeu de tous ses membres, la physionomie, le maintien, les regards, les gestes, les poses, etc. Ÿ insister serait une banalité. Or, la mimique qui en fait son objet spécial, même comme art, peut lui être d’un très utile secours. La sculpture grecque n’est devenue la plus belle, comme l’on sait, que parce qu’elle a su non seulement copier la nature qui était autour d’elle, mais profiter de l’art mimique et de ses progrès. L’artiste, la prenant pour base, s’est élevé au-dessus d’elle ; il a su créer des types de beauté, de grâce ou de sublimité qui n’étaient pas donnés tout à fait par la vue de la réalité vivante. Or, ici, la mimique telle qu’elle s’était développée et perfectionnée chez ce peuple d’artistes, passionné pour le beau, dans les fêtes et les cérémonies du culte, les exercices gymnastiques qui faisaient partie de l’éducation et de la vie nationale, était destinée à fournir aux sculpteurs et aux peintres des modèles déjà idéalisés. Qui peut dire aussi ce que les artistes grecs, les sculpteurs[1] et les peintres, ont emprunté à l’action théâtrale, à la représentation des œuvres dramatiques, bien que les acteurs n’aient eu que des masques, eux-mêmes empruntés

  1. « Les Grecs avaient tellement perfectionné leur danse par rapport à limitation des passions, que les sculpteurs les plus habiles, à ce que nous apprend Athénée, ne croyaient pas perdre leur temps en allant étudier et même dessiner les différentes attitudes que prenaient les danseurs dans les spectacles publics : et ils tâchaient ensuite d’exprimer vivement ces attitudes dans leurs figures, qui doivent sans doute à ce secours emprunté de la danse leurs plus grandes beautés. » (Ricard, trad. de Plutarque, t.  III, p. 494, note.)