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objets dans l’espace. Il les colore à sa guise. La mimique, art successif, rivée à un corps vivant, dont elle ne peut se séparer, n’a aucun de ces moyens. Elle est obligée de varier, de répéter sans cesse les mêmes mouvements, et ses mêmes signes sans pouvoir les fixer ni les perpétuer. Il ne faut donc pas plus prendre à la lettre ce que ses prôneurs nous disent, que l’œuvre d’art mimique ou chorégraphique est un tableau véritable ou une suite de tableaux (Noverre), et que tout ce que la peinture représente la mimique peut aussi le représenter. Ce sont là de pures métaphores.

Ce n’est pas seulement la mimique naturelle ; la mimique artificielle réduite en art lui sera non moins utile. Celle-ci a ses maîtres, elle a même ses artistes de génie qui y excellent. Non contents du réel, ils savent idéaliser et faire produire à l’art les plus grands effets. L’acteur, l’orateur seront ses modèles.

De leur côté, ces derniers, l’orateur et l’acteur, ne peuvent que gagner à consulter le peintre et à imiter ses tableaux. L’étude des grands maîtres atteste cette réciprocité. Le peintre ne croira pas rabaisser son art en se mettant à l’école de l’artiste mimique, en utilisant pour son art ce qu’il peut emprunter d’un autre art, quoiqu’en respectant ses limites qu’il n’est jamais permis de franchir.

L’histoire de l’art, si l’on observe la manière dont se sont formés les grands peintres, comme aussi les grands orateurs et les acteurs les plus célèbres, confirmerait cette hypothèse.

III. On peut se demander quel rapport peut avoir la mimique avec l’Architecture. La distance est en effet plus grande. Il est permis néanmoins de signaler encore quelques analogies. Il faut bien qu’elles soient réelles, puisque le langage les a consacrées. Ne dit-on pas d’un édifice qu’il est majestueux, hardi, sévère, imposant, qu’il est élégant, riant, gracieux ? Ces épithètes empruntées à la forme humaine, au maintien, aux attitudes du corps, aux airs mêmes de la physionomie, se multiplient quand de l’aspect total on passe aux différentes parties ainsi qu’aux ornements qui le décorent ct en sont la parure. Prenez-le dans chacune de ses parties, ses colonnes, son entablement, sa frise, ses ouvertures, etc., vous verrez la langue de l’architecture s’enrichir de mots qui sont tous empruntés au vocabulaire de la mimique. Cette colonne a la taille élancée, svelite ; elle porte son chapiteau avec aisance et avec grâce elle est parée, coquette, etc. Celle-là est lourde, pesante, trapue ; elle n’est plus libre. Le comique et le baroque ne font pas tout à fait défaut. Le style rococo en est un exemple.

Toutes les épithètes qui conviennent à l’architecture sont transpor-