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BÉNARD.la mimique dans le système des beaux-arts

objets, les figures et les scènes qu’elle représente sont distribués dans l’espace de manière à faire illusion. Elle a pour cela des moyens qui font défaut à la sculpture : la perspective, le coloris, le jeu de la couleur et des ombres, la magie du clair-obscur, etc.

Rien de tout cela ne doit être demandé à la mimique. Celle-ci se borne à nous montrer, dans un espace réel, le corps humain lui-même réel, animé, mis en mouvement, variant le jeu de la physionomie et des gestes. Et chez elle tout se succède, rien ne persiste, tout s’écoule et disparaît.

Comme la sculpture, la peinture dont le mode de représentation dans l’espace est simultané, ne peut disposer pour l’action qu’elle met sous nos veux que d’un seul moment. L’instant décisif et significatif est celui où l’action se concentre, où le passé, l’avenir et le présent semblent se confondre. Cela paraît une infériorité. On a pu voir que c’est la grande supériorité de l’art, le privilège qu’il a de donner la fixité à ce qui n’en a pas, d’arrêter le temps dans sa marche. C’est ce qui force l’esprit lui-même du spectateur à s’arrêter, à concentrer son regard sur cet unique moment. Si l’infériorité existe, l’art y supplée par des moyens qui sont à lui, qui ne trompent pas pour cela le spectateur.

Mais si l’avantage reste à la peinture et si la mimique comme art ne peut rivaliser avec elle, on aurait tort de méconnaitre les services qu’elle peut rendre à la première et qu’elle lui rend en effet, sans que celle-ci lui en tienne toujours bien compte et lui soit toujours assez reconnaissante. Les plus grands peintres ont su eux-mêmes le reconnaître[1]. Je parle d’abord de la mimique naturelle que le peintre, quel qu’il soit, ne peut se dispenser d’étudier, et qu’il doit reproduire, quoiqu’il le fasse toujours avec choix et en artiste.

Dès que le peintre abandonne la nature morte, qu’il se propose de fixer sur la toile les traits de la nature vivante, ceux de la figure humaine, en particulier, alors il lui est indispensable d’étudier dans tous les détails ce que la mimique elle-même exprime et représente. Il va sans dire que le peintre, en observateur consommé, doit s’être approprié tous ces signes de la physionomie et du geste dans toutes situations, actions, qu’il veut transporter sur sa toile. Ses modèles eux-mêmes n’y suffisent pas. Il faut qu’il les ait pris autrement dans leur réalité naturelle et vivante, tels que les scènes les plus variées de la vie humaine peuvent seules les lui offrir[2].

Le peintre arrange, distribue et coordonne, comme il veut, les

  1. Voy. Le Brun et Léonard de Vinci, cités par Piderit : la Mimique, p. 29.
  2. Voy. Léonard de Vinci.