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GUARDIA.philosophes espagnols

invoquant cet auteur, que le vulgaire des médecins ne veut point souffrir de philosophes dans la corporation. Puisque, selon son dire, Hippocrate sépara la médecine de la philosophie, à quoi bon, demandent-ils, renouveler l’antique alliance ? Sans doute la médecine reçut d’Hippocrate sa constitution autonome ; mais Hippocrate lui-même subit l’influence des écoles philosophiques, puisque les meilleurs des ouvrages qui portent son nom sont empreints ou imprégnés des doctrines d’Héraclite, de Pythagore et d’Empédocle, sans parler de la légende qui fait de lui le disciple de Démocrite. D’ailleurs, toute la doctrine des tempéraments, base de la vieille théorie médicale, venait des philosophes, qui l’avaient prise dans les cosmogonies orientales. Quand le réformateur Asclépiade substitua une médecine nouvelle à l’ancienne, qu’il définissait plaisamment une méditation sur la mort, c’est par la philosophie qu’eut lieu cette révolution mémorable. Épicure lui fournit tout ce qu’il devait de bon à Leucippe et à Démocrite, et les solides, représentés par les atomes, réclamèrent leurs droits contre les humeurs. Asclépiade, qui ne se payait pas de mots, quoi qu’en dise Pline, mit au néant deux entités fictives, la Nature et l’Ame, et débrouilla le premier le chaos des maladies mentales. Sans lui, Galien, philosophe de toutes les sectes, n’eût pas écrit ce substantiel petit traité de la prédominance du physique sur le moral, qui brille comme un diamant dans le fatras de ses ouvrages.

Tous ces anciens maîtres de la médecine philosophique pensèrent librement. Il n’en fut pas de même des modernes, rivés au dogme religieux. Ils n’en eurent que plus de mérite à philosopher malgré ce lest incommode. Paracelse, fou aux trois quarts, fraya le chemin à Van Helmont, l’halluciné, et Stahl le piétiste, avec l’animisme aristotélique, patiemment revu, corrigé, refondu, fut le précurseur de Barthez, dont le vitalisme, perfidement travesti, dénaturé, démarqué par ses prétendus disciples et successeurs, tendait à éliminer l’âme, ingénieusement restaurée par Descartes, de la médecine et de la philosophie. On pourrait dire de lui qu’il amputa la glande pinéale. Jamais le cartésianisme ne rencontra de plus rude adversaire, si ce n’est Locke, philosophe naturaliste et médecin, qui fut le père ou le parrain de la philosophie du xviiie siècle, laquelle a donné à la médecine philosophique Cabanis, Pinel et Broussais.

À cette généalogie abrégée, il faut ajouter une branche collatérale, à peu près ignorée des historiens de la médecine et de la philosophie. Il est vrai que ces compilateurs ne savent à peu près rien de l’Espagne, laquelle à eu jadis des savants et des philosophes du premier ordre qui auraient fait souche, si la maladie endémique de