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de Galien et des Arabes l’emportaient en fanatisme intolérant sur les aristotéliciens et les thomistes. Quant à l’accusation portée contre Descartes et ses amis, d’avoir détruit, autant qu’il dépendait d’eux, l’ouvrage philosophique de Gomez Pereira, elle a tous les caractères d’une calomnie inepte. Ce qui est vrai, incontestable et clair comme le jour, c’est que ni Descartes ni les cartésiens n’ont eu la bonne foi de reconnaître que le cartésianisme devait beaucoup à la philosophie du médecin espagnol. Huet a manqué une belle occasion de mettre cela en évidence dans cette critique si faible, où il a mis, selon sa coutume, plus d’érudition que de discernement. Peut-être ne connaissait-il, malgré son savoir, l’ouvrage de Pereira que par ricochet, tant il était rare dès ce temps-là. L’exemplaire de la bibliothèque de Rouen, qui appartenait autrefois au chapitre de la cathédrale, est horriblement mutilé. Rien ne serait plus curieux que de dresser l’inventaire des volumes qui ont échappé à cette rage de destruction. L’Espagne possède à peine quelques exemplaires des écrits du premier de ses philosophes ; et la seconde édition des deux ouvrages réunis (Madrid, 1749) n’est pas moins rare que la première. On dirait qu’un mauvais génie s’est plu à rendre à peu près inaccessible la pensée d’un auteur qui n’improvisait point ; Car, pour rappeler un mot célèbre, il eut comme collaborateur le temps, sans lequel rien ne se fait de durable.

Chose remarquable. Cet esprit subtil, méditatif et profond, ne se confinait point dans la solitude, comme la plupart des fortes têtes pensantes, mathématiciens et métaphysiciens de haut vol, qui vécurent dans la retraite et le célibat, fuyant le bruit et les distractions mondaines, fermant la porte aux émotions, se desséchant le cœur et n’exerçant que leur cerveau, véritables anachorètes laïques, moins semblables à des hommes qu’à de purs esprits.

On a vu que sa profession de médecin et ses fonctions à la cour, bien qu’intermittentes, le mettaient en contact perpétuel avec la société contemporaine. Il gagna à ce genre de vie active et bien remplie de pouvoir associer deux aptitudes qui vont rarement ensemble, la déduction et l’induction, dont le concours décuple la force mentale, en maintenant le parfait équilibre des facultés supérieures. C’est à l’union intime de ces deux procédés combinés pour constituer la vraie méthode de recherche et de contrôle, d’investigation et de démonstration, que les savants observateurs, et entre tous les naturalistes et les médecins, doivent apparemment la solidité de leurs méditations sur les sujets que les métaphysiciens purs, quelle que soit d’ailleurs la vigueur de leur intelligence, n’abordent