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GUARDIA.philosophes espagnols

pour élever son fils. C’est ainsi qu’il devint successivement archevêque de Tolède, le premier siège épiscopal de l’Espagne, et cardinal de l’Église romaine. Siliceo avait étudié à Paris, et il introduisit dans l’enseignement de Salamanque un mauvais levain qui fermenta de manière à troubler la quiétude des réaux qui régnaient en maîtres absolus dans les écoles espagnoles. Il savait à fond les mathématiques et goûtait fort la philosophie naturelle. Philippe II le consultait volontiers, et c’est apparemment sur son conseil qu’il nomma Gomez Pereira médecin consultant de don Carlos, héritier présomptif de la couronne. Le jeune prince, d’un esprit vif et original, instruit d’ailleurs par l’aimable et très docte Honorato Joan, se plaisait à entendre discourir ce médecin-philosophe, qui le charmait en lui exposant ses vues singulières sur la mécanique et l’hydraulique, et en l’engageant à étudier la physique, c’est-à-dire la nature, parce que, lui disait-il sagement, celui que sa fonction appelle au pouvoir, dont le plus beau privilège est de rendre la justice aux hommes, celui-là doit commencer par s’instruire à fond de la vérité, afin que la lumière éclaire tous ses pas. Le précepteur applaudissait à ces leçons de son ingénieux ami, et formait pour la royauté ce prince que le destin jaloux envia à l’Espagne et que l’Espagne eut raison de regretter, car il tenait bien plus de son aïeul paternel que de son père.

Gomez Pereira, comme médecin consultant de la cour, était mandé auprès des princes, tantôt à Valladolid, qui était alors la capitale, tantôt à Madrid, où la cour devait enfin se fixer. Apparemment que ses consultations s’étendaient aussi aux villes les plus proches de Medina del Campo ; mais il n’en est rien dit dans son livre de médecine théorique et pratique, où abondent les observations les plus curieuses entremêlées de précieux détails biographiques, entièrement ignorés des biographes, par la raison que ce livre, d’une extrême rareté, est infiniment moins connu que l’autre, qui lui-même n’a pas eu beaucoup de lecteurs, les exemplaires en étant devenus très rares. Cette circonstance autorise une conjecture probable, à savoir que le démolisseur des doctrines ultra-classiques d’Aristote, de Galien et d’Averroès, que l’adversaire le plus redoutable de la vieille scolastique orthodoxe, dut subir une de ces persécutions posthumes dont la fin est de supprimer la pensée, et, si possible, d’abolir la mémoire du mécréant. Les haines d’école sont les plus envenimées comme les plus implacables. Témoin le livre de Michel Servet, condamné au feu avec l’auteur par l’impeccable Calvin, et dont deux ou trois exemplaires seulement furent arrachés au bûcher. Si la conjecture est vraie, il faut reconnaître que les philosophes se montrèrent plus cléments que les médecins ; d’où l’on peut induire que les sectaires