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GUARDIA.philosophes espagnols

qu’à mon départ de la maison. » Ayant fait route sans accident, il arriva à Madrid en parfaite santé, et ne se ressentit plus de cette fièvre violente et éphémère, qu’il rapporte comme un argument péremptoire contre la doctrine et la pratique de Galien. Son livre n’est, en somme, qu’un traité de pathologie générale à propos de toutes les variétés de fièvre. Les types intermittents et rémittents y sont étudiés à fond. Il excellait à les reconnaître sous les formes les plus larvées et au milieu des symptômes les plus confus, avec une grande sûreté de diagnostic, et à démêler surtout le caractère malin des fièvres tierce et quarte. C’est d’une fièvre quarte maligne que mourut, selon lui, le secrétaire intime de Charles-Quint, Francisco de los Cobos, dont les médecins ne surent pas reconnaître le mal. Ces erreurs sont fréquentes dans les pays où la malignité des fièvres paludéennes est une énigme pour les plus habiles praticiens. N’a-t-on pas vu à Paris, en 1867, un spécialiste célèbre en chirurgie, traité comme goutteux par la faculté, succomber au second accès d’une fièvre intermittente maligne ? Jamais les savants hommes qui l’assistaient ne se doutèrent de cette erreur de diagnostic.

Si Gomez Pereira était tant soit peu connu comme médecin, il serait moins utile de signaler à la curiosité celui de ses ouvrages où la pathologie historique pourrait puiser de précieux documents, si l’histoire de la médecine était sérieusement apprise et enseignée. Il y a là une infinité de vues neuves, ingénieuses, séduisantes sur la théorie générale de la fièvre, sur les diathèses, les cachexies, la consomption, la phtisie, les maladies cérébrales et le délire. La thérapeutique est simple, rationnelle, empruntée le plus souvent aux ressources de l’hygiène et du régime, sauf les cas assez rares où sont indiqués les moyens héroïques. L’histoire de la saignée trouverait à s’enrichir dans ce trésor de l’expérience de singuliers épisodes, la plupart tragiques, les autres burlesques : et l’histoire des épidémies glanerait dans ce champ fertile assez d’épis pour faire une gerbe du plus pur froment. Si l’on s’étonnait que cet ennemi des drogues de la polypharmacie ne fit pas un plus fréquent usage de l’hydrothérapie extérieure, ce serait ignorer que l’expulsion des Musulmans d’Espagne fut fatale à la propreté du corps, et favorable par conséquent aux maladies de la peau. Les bains ressemblaient trop aux ablutions pour n’êlre pas proscrits avec la race infidèle. Prendre un bain ou le prescrire, grosse affaire. Les médecins eux-mêmes n’échappaient point à cette surveillance tracassière. Dans la Vieille-Castille particulièrement, où les nouveaux chrétiens étaient en petit nombre, toutes