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leurs démarches pouvaient éveiller les soupçons. Un médecin convers qui eût ordonné un bain eût fait scandale. L’hygiène et la médecine devaient s’incliner devant le préjugé fanatique. Ainsi faisait Gomez Pereira, qui conseillait les bains et n’osait pas les prescrire, dissimulant à peine les regrets que lui causait une interdiction aussi barbare. Combien de fois n’a-t-il pas dû répéter le vers de Lucrèce, poète dont la doctrine lui était chère, si l’on en juge par les nombreux endroits où l’on n’est pas peu surpris de la retrouver, bien qu’il ne le cite jamais, et pour cause.

Gomez Pereira était marié. C’est au médecin que l’on doit cette confidence. À propos du frisson non suivi de fièvre, après s’être moqué finement de Galien, il ajoute simplement : « J’en ai vu un assez grand nombre de cas, particulièrement chez ma propre femme, une fois que, jeune encore, elle cessa d’être mère. » Il eut donc des enfants, on ne sait combien, car il n’en tenait pas registre, comme Descartes qui a pris la peine de noter l’endroit, le jour et Pheure où il engendra la pauvre petite Francine, laquelle vécut moins que sa philosophie. Enfin notre médecin philosophe fut peut-être bon époux et bon père, comme dit la légende des tombes populaires ; mais il n’eut pas une nombreuse famille, probablement parce que, selon la doctrine de Juan Huarte, la puissance génésique n’est guère compatible avec la force cérébrale, et il en donne comme preuve la médiocrité des enfants procréés par les grands hommes. On sait avec quelle verve Joseph de Maistre a soutenu cette thèse. D’après ce grand écrivain paradoxal, le génie n’est point transmissible.

Ce qu’on sait mieux du caractère de Gomez Pereira, c’est qu’il fut ami fidèle et excellent confrère. Rien de plus franc et cordial que la reconnaissance et le dévouement dont témoignent ses dédicaces, qui ne sont ni plates, ni banales, ni emphatiques. Quant à la confraternité, plus rare encore que la fraternité, dont elle est une branche, il paraît l’avoir pratiquée sincèrement, en honnête homme, comme on le voit par le vœu exprimé à Don Carlos, qu’un comité de savants hommes compétents examinent ses idées et les appliquent s’ils les jugent utiles. On voit aussi que dans l’exercice de sa profession il savait pallier et même excuser les fautes de ses confrères, et que sa maison hospitalière était ouverte à ceux qui venaient de loin. Il reçut une fois chez lui deux médecins, le père et le fils, et il guérit ce dernier que consumait une fièvre hectique, en le mettant au régime du lait, lui en faisant prendre jusqu’à six livres par jour. Il ne tenait pas la phtisie pour incurable, et il ne