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GUARDIA.philosophes espagnols

losophe répondit à son censeur, Miguel de Palacios, lui reprochant sa légèreté, son outrecuidance, réfutant une à une ses objections, en sollicitant de nouvelles, faisant appel à la critique compétente et sérieuse. Ce qui prouve sa candide bonne foi, c’est qu’il fit imprimer à ses frais l’attaque et la réplique, pour les joindre à son livre. Ce document est un des plus curieux échantillons de la polémique philosophique du xvi° siècle. On y voit aux prises la tradition et la révolution, l’autorité scholastique et la pensée indépendante, l’homme qui s’appelle légion et celui qui combat seul contre tous. L’adversaire fut-il intimidé ou bien désarmé par ce procédé chevaleresque ? on ne saurait le dire, mais il ne répondit point au défi.

L’année suivante (1556) vit paraître à Medina del Campo un factum d’un autre genre, sous ce titre : Endecálogo contra Antoniana Margarita. C’est un dialogue burlesque qui ne manque point de sel, mais où l’ordre, la mesure et le goût font également défaut. Il y est question de mille choses impertinentes qui gâtent le sujet. Les bêtes qui figurent dans cette pièce bouffonne se plaignent par-devant Jupiter d’avoir été traitées de machines insensibles, et le juge se prononce en leur faveur. Il ne paraît pas que la malveillance ait inspiré cette plaisanterie assez inoffensive d’un auteur anonyme.

Bien qu’il n’y eût point en ce temps-là de journaux pour organiser la conspiration du silence, il ne paraît pas que les paradoxes du médecin-philosophe aient fait beaucoup de bruit en dehors des écoles. Écrire en latin sur des matières aussi ardues que la psychologie et la métaphysique, c’est choisir ses lecteurs. L’auteur n’en voulait que de compétents : il demandait des juges ou du moins des appréciateurs capables de le suivre dans ses ingénieuses investigations, tout en avouant qu’il souhaitait d’être lu par les vieillards ignorants et par les jeunes gens inexpérimentés ; non qu’il espérât ramener les premiers dont l’opinion était fixée et probablement invariable ; mais il désirait vivement prémunir la jeunesse contre les erreurs et les préjugés des écoles, en lui inoculant ce scepticisme salutaire qui est le correctif de la curiosité, et le commencement de la philosophie. En dehors de la foi, dit-il, tout ce qui relève de l’intelligence doit être soumis à l’esprit d’examen. Ils sont nombreux les passages où il proclame les droits de la raison et de l’expérience, qui sont les sources pures de la connaissance de la science. Ces lieux communs rebattus passaient alors pour des hérésies ; et ce n’est point dans les écoles que retentissaient ces hardis paradoxes. Ni les préceptes ni l’exemple de J.-Louis Vivès