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La moyenne des hommes est médiocre, et la médiocrité est jalouse du mérite. Les corporations, en général, n’aiment point quiconque se distingue en dehors d’elles et sans leur concours. Avant les académies, les universités étaient animées de cet esprit de corps qui est proprement l’esprit d’exclusion et d’intolérance. Attachées désespérément à la tradition, elles considéraient les novateurs comme des ennemis de leur autorité, bien plus chère aux docteurs que la science. De quoi Socrate fut-il accusé par les conservateurs de son temps ? D’innover en matière de foi, et de corrompre la jeunesse. Au lieu de le nourrir aux frais de l’État au Prytanée, ils lui firent avaler légalement la ciguë, et l’opinion conservatrice fut satisfaite. Si Gomez Pereira n’eut pas le même sort, il n’échappa point à la haine des gens d’école. Les plus ardents parlaient de le brûler avec ses œuvres : c’étaient les anciens de la corporation. D’autres se montraient moins hostiles, mais ils déclaraient ne pouvoir le suivre, parce qu’il exigeait des conditions de savoir et de compétence qu’ils n’auraient pu remplir. Les plus sympathiques n’osaient pas se prononcer, de peur de se compromettre. Quant à la jeunesse, à laquelle le novateur s’était spécialement adressé, que pouvait-elle faire pour lui sous la férule des maîtres qui la régentaient ? Les écoliers de tout âge, malgré des velléités d’indépendance ou d’indiscipline, subissent docilement l’ascendant de celui qui, tous les jours, travaille à leur former ou à leur déformer la cervelle. La chaire professorale, les titres et le costume ont un grand prestige, et l’autorité leur impose, comme aux disciples de Pythagore. Par habitude autant que par amour-propre, ils se figurent volontiers que le maître a toujours raison, et l’écoutent comme un oracle.

Quiconque est familier avec les mœurs des universités espagnoles a pu reconnaître que la décadence de l’enseignement supérieur en Espagne a eu pour cause principale l’omnipotente autorité de ces docteurs infaillibles et irréfragables qui parlaient du haut de leur chaire comme les prédicateurs, enseignant sans discuter, ne souffrant pas la contradiction, traitant leurs auditeurs comme des soldats. C’est dans cet esprit qu’un professeur en théologie de Salamanque entreprit de réfuter sommairement la philosophie de Gomez Pereira, en quelques pages habilement écrites, mais d’une arrogance qui fait sourire quand on songe à son adversaire, qu’il compare à Parménide, à Zénon, à Mélissus, à Héraclite et autres philosophes novateurs, tout en l’engageant à corriger ses erreurs, à revenir sur ses pas, à faire amende honorable, de peur qu’il ne soit obligé de le livrer à ses écoliers. C’est son dernier mot, où l’on pourrait voir soit une menace, soit une insolence. Le médecin-phi-