Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVIII, 1889.djvu/306

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
296
revue philosophique

permis de croire que ce rang supérieur est moins conquis de force qu’obtenu par acclamation pour ainsi dire ; on peut supposer que le moi est en quelque sorte le pôle où convergent momentanément toutes les ambitions et tous les égoïsmes cellulaires, à peu près comme la gloire est la polarisation sociale des espoirs et des orgueils individuels. — Il est certain, au moins, qu’en émergeant à la conscience, qu’en se rattachant ou paraissant se rattacher au moi, foyer réel ou virtuel de l’esprit, la multiplicité des états d’esprit les plus dissemblables prend un air d’unité, et il est certain de même qu’en parvenant à la célébrité les genres de mérite les plus divers dans une nation paraissent se confondre en une réalité supérieure qui leur est commune. La conscience est ainsi, à proprement parler, la première catégorie de la Logique individuelle, d’où découlent toutes les autres ; et la gloire, point de mire hallucinant de tous les yeux, est la première catégorie de la logique sociale, source de toutes les autres également. Rien, par exemple, n’a été divinisé qui n’ait été glorieux ; la gloire est le chemin nécessaire de l’apothéose ; et rien n’a été objectivé, matérialisé, qui n’ait été senti, la conscience seule mène à la perception.

L’analogie se poursuit, si l’on examine avec plus de détails la nature, l’origine et le rôle de ces deux grands faits. La conscience est une réalité à deux faces. Qu’est-ce qui est conscient ? C’est tantôt une nouvelle croyance claire, tantôt un nouveau désir vif ; ou, en d’autres termes, c’est tantôt une perception, tantôt une volition. — La gloire s’attache pareïllement aux deux versants correspondants de la vie sociale. Qu’est-ce qui est glorieux dans le sens le plus large du mot ? C’est tantôt une innovation théorique, une instruction favorablement accueillie, tantôt une innovation pratique, une direction, docilement acceptée et obéie ; en d’autres termes, c’est tantôt une découverte, tantôt une invention imitées (si l’on veut bien étendre un peu, comme il convient philosophiquement, le sens de ces termes). Les perceptions, nous pourrions le montrer, équivalent en psychologie aux découvertes en sociologie, et nous pourrions aussi bien dire que les volitions équivalent aux inventions. Une volition n’est que l’aperception très aisée[1], tandis qu’une invention est l’aperception en général assez mal aisée, d’un moyen propre à atteindre une fin, et cette fin elle-même est, dans le premier cas, très facile, et dans le second cas plus ou moins difficile à imaginer. Voilà toute la différence. Un enfant gourmand voit des raisins mûrs suspendus à un ormeau, l’idée lui vient spontanément de manger les fruits, et,

  1. Voy. Lachelier, sur Wundt, Revue philosophique, février 1885.