Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVIII, 1889.djvu/321

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
311
analyses. — roberty. L’inconnaissable.

s’agit ici, et de traiter avec originalité et profondeur. Se plaçant au point de vue sociologique et psychologique, il examine successivement les origines et la valeur réelle du concept de l’inconnaissable, les conditions actuelles du problème, et enfin le concept de l’inconnaissable et la notion de Dieu. S’appuyant sur quelques-unes des conclusions de son précédent ouvrage[1], il tâche de démontrer l’illogisme et l’incohérence de l’agnosticisme contemporain en même temps que de déterminer ses rapports avec les anciennes croyances.

Pour M. de Roberty l’inconnaissable, c’est « toute la religion et toute la métaphysique » ; le sujet a, par conséquent, une importance exceptionnelle, mais « cette importance est et restera d’ailleurs purement négative, tant qu’on continuera à philosopher, sur l’inconnaissable et, son opposé, le connaissable… — tant que la psychologie et la sociologie, qui ne sont même pas des demi-sciences, s’efforceront de faire, sous le couvert de la philosophie, ce que peuvent à peine se permettre les plus vieilles disciplines, si riches en vastes et puissantes généralisations. » Les résultats obtenus ne peuvent changer que si la psychologie devient scientifique. « Il faut pour cela que, sans crainte des mots, elle applique aux deux problèmes connexes de la connaissance et de l’ignorance les méthodes ordinaires du savoir particulier, et surtout qu’au lieu de s’allier à la philosophie qui est une non-valeur, elle appelle à son aide la sociologie, qui, étudiant les hypothèses ontologiques et les croyances de l’humanité comme de simples faits sociaux, pourra seule la prémunir contre les innombrables atavismes de la pensée et toutes les inconscientes obsessions du passé. Ce livre est un effort, jusqu’ici à peu près isolé, tenté dans cette direction. »

Les idées générales de M. de Roberty devaient le porter à apprécier la valeur des théories de l’inconnaissable en les rapportant à un état de l’esprit humain déterminé par l’évolution des croyances philosophiques et par l’état des acquisitions scientifiques qui sont avec la philosophie (c’est une des lois de M. de Roberty) dans un rapport étroit. Aussi établit-il une filiation des doctrines qui relie les théories philosophiques qu’on serait souvent porté à considérer comme les plus dissemblables, et même comme les plus opposées : « L’agnosticisme, qui est la croyance des esprits avancés de notre époque, dit-il, est considéré constamment comme un point d’arrivée, comme le résultat intime d’une longue évolution mentale : l’inconnaissable, affirment les kantiens aussi bien que les positivistes, n’était pas reconnu comme tel au début : il serait, d’après eux, une acquisition récente de la philosophie.

« Cette manière de voir me paraît très juste, tant qu’on ne tient compte que de la morphologie des phases successives que l’inconnaissable a traversées, car il est certain, en effet, que l’agnosticisme moderne ressemble fort peu au fétichisme primitif ; il y aurait cependant ici une double réserve historique à faire…

  1. L’ancienne et la nouvelle Philosophie, analysé dans cette Revue en 1888.