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nos contemporains évolutionnistes. Comme on le voit, sa critique n’est pas seulement négative, elle ne se borne pas à démolir, elle reconstruit ; et d’ailleurs, jamais haineuse ni passionnée, elle ne s’inspire d’aucun esprit de parti, je ne dis pas d’aucun esprit de système. Ajoutons que la source où elle puise est des meilleures ; je ne crois pas faire tort à ce nouveau et brillant publiciste en le louant d’avoir choisi pour maître ou directeur de sa pensée M. Espinas. Il adopte ses vues du moins sur la nature et la fin de la société. Comme lui et contrairement à M. Fouillée, il rejette sans réserve la théorie individualiste des droits antérieurs et supérieurs à la société, et repousse non seulement la formation de la société par un prétendu contrat librement consenti, thèse discréditée, mais encore la justification possible des sociétés existantes par le consentement supposé des individus qui les composent. Pas plus comme idéal à poursuivre que comme réalité historique, le contrat social imaginé par Rousseau ne lui semble soutenable. Partant de là, et convaincu avec raison que « la notion de l’État change complètement d’aspect suivant que l’on considère les obligations qui en dérivent comme contractuelles ou comme traditionnelles », il refuse de limiter le rôle de l’État à la protection des vies et des propriétés individuelles, il veut que l’action de l’État s’étende au développement de la puissance nationale, à la propagation des sciences et des arts, aux œuvres de bienfaisance et de solidarité fraternelle, aux religions mêmes dont il ne doit pas négliger le concours. Ce n’est pas en socialiste que M. Ferneuil parle ainsi, c’est, je le répète, en sociologue. La stérilité des principes de 1789, suivant lui, tient au fondement métaphysique, nullement positiviste et scientifique, sur lequel ils reposent. Tout ce qui nous est resté de cet Évangile est donc radicalement faux : par exemple, la notion du droit de suffrage conçu comme « une prérogative individuelle », tandis qu’il est une simple « fonction sociale », dont la société a le droit de subordonner l’accomplissement à des garanties et à des conditions différentes suivant son intérêt propre. « Si le suffrage universel, dit-il à ce sujet, devait avoir pour conséquence nécessaire l’abdication des représentants de la nation entre les mains de comités électoraux, si l’asservissement de ces comités à la tyrannie de mots d’ordre, de formules toutes faites, devenait la règle habituelle de la démocratie, la sociologie se verrait contrainte de condamner ses prétentions au gouvernement définitif des sociétés modernes ; d’ailleurs, les événements se chargeraient bien vite de ratifier les conclusions de la science. » L’auteur ajoute, il est vrai : « Mais cette dégénérescence n’est pas inévitable ». On peut l’empêcher par divers moyens, par exemple, en rendant le vote obligatoire sous la menace de peines très fortes. Toujours, au nom de la sociologie, il justifie la dualité de législature et montre que la raison d’être de la chambre haute est « de maintenir l’équilibre entre les forces conservatrices et les forces progressives de l’organisme politique ». Il n’a pas de peine à signaler les graves défauts d’une magistrature élective et à établir