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indivisible, éternelle, incréée ; qu’après la mort les âmes changent d’or-’ganisme et que « ses vies successives ne sont point reliées entre elles par la mémoire ; que le matérialisme est incompatible avec l’ordre social ; que l’homme est distinct de l’animal ; que l’animal n’a point le sentiment de l’existence, que sentir, parler, penser, ne font qu’un, etc., et que l’ensemble des articles de foi compose la « science réelle ». L’auteur paraît un esprit indépendant, curieux, avide de s’emparer du moindre fait et de le convertir en preuve. Ajoutons que le format du livre, le choix du caractère d’impression, la qualité même du papier dont l’épaisseur fait prendre à un volume qui n’a point quatre cents pages, l’apparence d’un volume de six cents au moins, ce sont là des signes extérieurs à ne point négliger. Ils annoncent une philosophie dont la sincérité a voulu être le principal mérite, une philosophie vécue, une philosophie « sortant toute chaude d’un cœur d’homme », ainsi que nous l’écrivait récemment, accompagnant sa lettre de l’envoi d’un livre, un fonctionnaire rendu par l’âge de la retraite aux douceurs de la vie spéculative. La sincérité des convictions plaît toujours, aussi croyons-nous que M. Putsage n’aura point fait œuvre vaine, et l’on peut sans témérité lui promettre des lecteurs. Lui promettre des adeptes serait évidemment dépasser la limite des espérances raisonnables, attendu que les adeptes impliquent une doctrine, et que la doctrine de M. Putsage paraît bien avoir devancé, de plusieurs siècles, le moment où il en a pris conscience. M. Putsage nous répliquera qu’à moins d’être Descartes, Leibniz ou Kant, il faut prendre son bien à peu près partout et se résigner au rôle d’éclectique ; aussi n’est-ce pas le reproche qu’il nous paraît avoir encouru ; ce ne sont point ses idées que nous mettons en cause, mais sa façon de les avoir et surtout de les… je me trompe, de ne les point défendre. Parlerai-je aussi du style ? mieux vaut en faire le lecteur juge. « Non ! la conscience, c’est la science selon soi, selon sa propre raison ; elle doit désormais être l’expression de la science ; ainsi le veut la nécessité sociale, et par science, nous entendons, non la science hypothétique qui s’appelait jadis LA FOI, et qui ne peut plus régner, ni la science non moins hypothétique qui s’appells le matérialisme, mais la science réelle, c’est-à-dire celle qui dérive de la démonstration rendue incontestable de la réalité de la raison ; de la démonstration de la réalité de la règle donnée par la raison quant au bien et au mal et de la démonstration de la réalité de l’éternelle sanction relative à cette règle. » (P. 39.)

Et les phrases de ce genre ne sont point rares. Elles proviennent, croyons-nous, d’une double cause : l’intensité de la conviction, d’une part, et l’impuissance de cette conviction à se traduire en formules exactes. M. Putsage a fait effort pour penser par lui-même, de là les obscurités et les étrangetés de son style. Mais tout en pensant par lui-même, il voulait ramener l’attention du public sur les vieilles croyances (dont elle se détourne), les amender, les accommoder aux exigences du temps : on sent, chez M. Putsage, le désir d’accorder la science et