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et qui forme aujourd’hui la plus grande partie de la Turquie d’Asie. Cette péninsule, qui, dans sa partie occidentale, borde ce que les anciens appelaient la mer Égée, et nous Archipel, était composée de provinces peuplées par des colonies grecques, soit que ces colonies fussent venues de la Grèce, soit qu’elles aient été formées par des migrations semblables à celles qui avaient peuplé la Grèce elle-même. Ces colonies, d’abord indépendantes, avaient été conquises d’abord par les Lydiens, et ensuite par les Perses, et elles venaient de tomber sous la domination de ce dernier empire à l’époque même où commence l’histoire de la philosophie, c’est-à-dire vers le viie siècle avant notre ère. C’est l’une de ces provinces, l’Ionie, qui fut le premier théâtre des spéculations philosophiques, et qui donna son nom à la première école grecque. Les philosophes de cette école appartenaient aux différentes villes situées sur les bords de la Méditerranée. Thalès, Anaximandre et Anaximène, les deux premiers du viie siècle, le troisième du vie, étaient tous les trois nés à Milet. Le dernier Ionien, Diogène d’Apollonie, était, comme son nom l’indique, d’une ville de la Mysie, autre province grecque confinant à la Lybie. Une branche de l’école ionienne, l’école d’Héraclite venait d’Éphèse, ville appartenant également à l’Ionie. Plus tard encore Clazomène, autre ville d’Ionie, donnait naissance au philosophe Anaxagore.

Si l’on réfléchit à cette circonstance que la philosophie est née en Asie Mineure et non dans la Grèce proprement dite, qu’elle s’est manifestée tout d’abord dans des provinces qui touchaient au grand empire d’Orient, aux Mèdes, aux Perses, et par là même aux Assyriens et aux Babyloniens, tandis que, d’un autre côté, par mer et par le commerce, elles étaient en rapports constants avec la Phénicie et l’Égypte, on ne peut contester que si la philosophie, comme telle, est bien une invention grecque, cependant cette invention a dû être préparée par le contact immédiat de la civilisation orientale. Nul doute que la science n’ait existé en Assyrie et en Égypte avant de paraître dans la Grèce ; or, dans ces temps primitifs, la philosophie ne se distingue pas nettement de la science. Elle peut donc être rattachée, comme celle-ci, à une influence orientale. Mais cette influence est vague, obscure, indéterminée, et la philosophie n’en reste pas moins une œuvre originale et essentiellement grecque, de même qu’un fils peut avoir un génie original, tout en devant la vie à son père.

La philosophie et l’esprit philosophique sortirent bientôt du cercle étroit de leur première origine, et se répandirent dans les îles de la mer Égée. C’est de ces îles que vont partir les divers rayonnements de la philosophie, pour se répandre dans les autres parties de la