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EVELLIN.possibilité d’une méthode

même d’énergie, et alors, ainsi que l’ont vu la plupart des métaphysiciens, rien n’arrête ni ne limite son expansion. Qui a la source de l’être en doit, sauf obstacle, posséder la plénitude ; mais, dans l’hypothèse, nul obstacle n’est possible, puisqu’il est entendu que, hors la puissance qu’on a posée, rien n’existe. Il faut donc que spontanément et d’abord cette puissance se réalise tout entière. Acte pur, selon l’expression d’Aristote, elle ne peut un seul instant laisser subsister en elle une lacune ou un désir, et, en se posant, elle est tout.

Ou, au contraire, la puissance primitive est une simple possibilité logique, pure abstraction de l’entendement, sans énergie propre et sans ressort, et il est clair, dans ce cas, qu’elle n’enferme aucune parcelle de réalité. Tout entière dans et par l’esprit qui la conçoit, mais lui refuse, en la concevant, une existence extérieure et autonome, comment concevoir qu’elle puisse, même partiellement, se réaliser ? Au fond, elle n’est rien et ne peut rien ; si l’on ne pose qu’elle, c’est le néant à jamais.

Ainsi, dans l’hypothèse de l’unité, la puissance proprement dite est impossible ; ou elle passe à l’acte, ou elle s’évanouit dans le néant.

Il semble donc impossible d’admettre que l’un, rigoureusement un, évolue. Où serait son point de départ puisque, à l’origine, il est tout ou rien ? Partir de tout c’est partir du point d’arrivée, et partir de rien c’est se condamner à rester en place.

S’il est un fait qui ait la valeur d’une démonstration et rende éloquemment témoignage à la vérité des affirmations précédentes, c’est l’étrange embarras où se sont trouvés les philosophes qui ont cherché à déterminer le point précis où a commencé le progrès. Comme un fleuve a sa source, le progrès doit avoir son origine, et il faut, pour que le problème paraisse résolu, que cette origine soit aussi petite que possible. Où s’arrêter cependant dans cette régression à l’infini qui tend vers le néant sans jamais l’atteindre® On le sait, la différentielle du géomètre est, entre la limite et la quantité qui s’en approche, une quantité fuyante, insaisissable, plus petite à tout moment que toute quantité donnée ; c’est ainsi que, prenant le problème à rebours, l’évolutionnisme est amené à demander que le minimum d’être qu’il lui faut et qui, peu à peu, doit grandir, soit quelque chose de mobile, plus que rien et moins que quoi que ce soit. Mais la raison ne se laisse pas abuser par des artifices mathématiques : elle reconnaît, si ce minimum existe, qu’il vaut infiniment mieux que le néant ; quant à le faire moindre à l’infini que quoi que ce soit, c’est ce qu’elle déclare radicalement impossible,