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janet. — la géographie de la philosophie

réfugiés revinrent en Grèce, et purent encore y publier quelques-uns de leurs ouvrages, mais sans y enseigner. Les grandes écoles grecques étaient finies.

Ainsi, la philosophie grecque, partie de l’Asie Mineure, répandue à travers la mer Égée, passant de Samos ou de Colophon en Sicile et dans la Grande Grèce, concentrée à Athènes pendant quatre siècles, ayant rayonné ensuite à Alexandrie et à Rome, revenue à Athènes pendant un siècle ou deux, puis ayant jeté quelques rameaux dans l’Asie Mineure, d’où elle était partie, et où se conservèrent quelques-uns de ses vestiges, finit, après une période de douze cents ans, sa brillante histoire.

II

Nous venons de voir finir la philosophie grecque en même temps que l’hellénisme païen, vers le vie siècle de notre ère. Nous avons à nous demander maintenant comment elle a refleuri, et par quels chemins elle a passé dans l’Europe occidentale, pour donner naissance à ce qu’on appelle la philosophie du moyen âge et la philosophie moderne.

Le fait principal qui a servi à conserver la tradition de la philosophie, et à ramener l’étude des grands philosophes grecs, fut (le croirait-on ?) l’apparition de Mahomet, et l’entrée du peuple arabe sur la scène de la civilisation. On sait que Mahomet, en même temps qu’il a été un fondateur de religion, a été en outre un fondateur d’empire : « Le temps de l’Arabie est à la fin venu », dit-il dans Voltaire. La race arabe se révéla tout de suite comme race conquérante, unissant le fanatisme du prosélytisme à l’ambition de la conquête. Rassemblés en peuple par Mahomet, les Arabes s’élancèrent après lui en dehors des contrées de l’Arabie. Les successeurs immédiats du Prophète conquirent successivement la Syrie sur les empereurs d’Orient, la Perse, où ils renversèrent le trône des Sassanides, puis l’Égypte encore sur les Grecs, puis toutes les côtes de l’Afrique jusqu’au Maroc, et enfin, traversant la Méditerranée et pénétrant jusqu’en Espagne, ils occupèrent ce pays sur les Visigoths et s’y établirent pour plusieurs siècles. Ce flot envahisseur pénétra même jusqu’en France, et vint se briser contre les armes de Charles-Martel à la bataille de Poitiers. Ainsi, en un siècle, la conquête arabe était passée des confins de la Chine jusqu’aux bords de l’Adriatique. En même temps ce peuple qui, au temps de Mahomet, était encore un peuple de pasteurs, un peuple nomade, commença rapidement à se civiliser, à se faire aux mœurs, au luxe, aux sciences et aux arts de la Grèce. Il se créa un mouve-