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guardia. — philosophes espagnols

centes et irresponsables le châtiment que mérita le premier homme” ? Pourquoi avoir fait un divertissement des souffrances des animaux traqués dans l’arène ? En se laissant attendrir, l’auteur a substitué la sentimentalité à la raison, ou bien il a fait une pétition de principe. En effet, si les bêtes sont insensibles, la cruauté est illusoire. Le doux Malebranche battant sa chienne à tours de bras, était du moins convaincu qu’elle ne sentait rien, et il le démontrait expérimentalement. La nature serait une cruelle marâtre si elle avait produit les animaux pour les condamner à la douleur. Mais il n’est pas démontré, ajoute le philosophe trop sensible, que les mouvements des animaux expriment leurs sensations internes. Dans le cas où ils souffriraient, la nature serait encore plus répréhensible que les mauvais instincts de l’homme.

Enfin, si les bêtes sentaient comme nous, il semble qu’elles devraient avoir souci d’une vie future, ipsa etiam de sede animarum suarum post obitum curam habitura ; car, enfin, les bêtes appréhendent la mort et font tout leur possible pour s’y soustraire. On pourrait conclure de ces faits d’expérience qu’elles ont conscience et horreur de l’anéantissement. Cette insistance sur le pressentiment de la mort et de ses suites n’est pas moins singulière que le raisonnement qui suit. Si les fourmis et les hirondelles, dit l’inventeur de l’insensibilité animale, obéissent à des instincts de prévoyance, pourquoi les bêtes en général ne s’inquiéteraient-elles pas de l’au-delà, quid post obitum sit eventurum ipsis ? Cela n’est pas plus extraordinaire que d’amasser du grain en prévision de l’hiver et d’en ronger le germe pour empêcher la germination. Il faudra bien que ces conséquences soient admises par les partisans de la sensibilité des animaux égale à la nôtre. On sait que l’évêque Butler, poussé là-dessus, admettait l’enfer et le paradis des bêtes. La négation pure et simple de la sensibilité animale coupe court à tous les raisonnements par analogie se rapportant aux idées de cause et de finalité. C’est ainsi que Descartes se débarrassa de ce qui le gênait le plus dans la construction de son système. Gomez Pereira, au rebours, n’entend pas faire abstraction de l’animalité, et sa psychologie, essentiellement comparative, va de l’animal à l’homme. C’est l’animal qui le préoccupe, et il y revient sans cesse.

La question de l’instinct est capitale dans la psychologie animale. Les fourmis et les hirondelles sont prévoyantes sans maître. Les jeunes n’ont aucune expérience ; leur prévoyance ne peut s’expliquer que par une sorte de divination, de prescience de l’avenir, non nisi divinatione fieri potest. Il faut bien admettre quelque chose de