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pareil pour les poussins : à peine éclos, ils vont à la recherche des graines qui leur conviennent. Vainement dira-t-on, avec Aristote, que la nature a pris la peine d’instruire certaines espèces. Il faudra toujours admettre une sorte de divination, de prescience. En présence de ces faits réputés merveilleux, notre sceptique fait cette réflexion : « N’est-il pas probable que tout cela se fait de la même manière que l’ambre attire le duvet, et l’aimant le fer ? » Et il laisse au lecteur le soin de méditer sur ce rapprochement des phénomènes organiques et inorganiques. Passant ensuite aux raisons démonstratives, il présente des considérations de psychologie générale et comparative très ingénieuses, et qui seraient plus solides sans doute, si l’observation et l’expérience les confirmaient. Mais l’auteur suit son inclination en s’exerçant à cette gymnastique dont il ne se lasse pas, même dans sa nouvelle théorie des fièvres, en y mêlant toutefois les souvenirs de sa pratique. En ce temps-là, le philosophe devait être de première force en métaphysique et en dialectique.

Tous les philosophes conviennent que la connaissance de l’universel n’appartient qu’à l’intelligence. Par conséquent, on ne saurait admettre qu’elle s’exerce par les sens de l’homme, et à plus forte raison par les sens des bêtes. Que si les animaux sentent comme nous, il s’ensuit qu’ils doivent aussi, comme nous, connaître l’universel, et partant leur âme est une et indivise comme celle de l’homme. Or, si l’on reconnaît de l’intelligence aux bêtes, il faudra reconnaître aussi qu’ils sont de la même espèce, eiusdem esse speciei ; conclusion absurde et impie. Raisonnant là-dessus, il montre qu’en accordant aux bêtes le sentiment, on leur accorde la faculté de tirer les conclusions des prémisses, ce qui ne se peut que par la connaissance des universaux. Il semble qu’on ne puisse contester cette connaissance aux bêtes, d’après leurs opérations : elles fuient le feu et l’ennemi. Elles ont donc la faculté de raisonner, discurrendi vim, dit-il en son latin hispanisé, se moquant sans merci du vulgaire des philosophes, dont les affirmations le touchent peu. Puisque les animaux sont sensibles au froid, au chaud, comment en auraient-ils la sensation s’ils n’avaient pas une âme indivise ? Comment pourraient-ils autrement connaître la quantité par le tact ? Et il nie qu’ils la puissent connaître.

La psychologie des bêtes ne doit pas commencer par l’analyse des opérations mentales, qui relèvent de la logique. Supposer que les animaux affirment ou nient mentalement, c’est avouer que l’on connaît les opérations des sens externes. Il faudra donc leur accorder le sens commun, dont le siège est à la partie antérieure du cer-