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guardia. — philosophes espagnols

impression du pied et du cachet. Dans l’attention soutenue, dans la méditation profonde, les sensations passent inaperçues, en dépit des objets qui affectent les sens. L’impression a lieu sans la perception. D’où cette définition de la sensation : le sens conscient, unde sensatio dicenda erit ille modus se habendi sensus animadvertentis. C’est la notion distincte de l’objet présent, une sorte de certitude touchant l’existence et la qualité de l’objet. Quand l’homme connaît distinctement quelque chose par intuition, son âme a la certitude que la chose existe telle qu’elle a été vue, touchée, goûtée, perçue enfin par les sens externes. Bref, l’âme affectée par l’impression ou la figure de l’objet extérieur, et en prenant connaissance, voilà la sensation.

Et qu’on ne croie pas qu’il y ait là double phénomène : l’âme connaît bien l’objet extérieur, sans que pour cela elle se connaisse elle-même simultanément, ipsa anima per sui animadversionem tunc non se noscente. Il n’y a donc, en somme, qu’action de l’objet et réaction de l’âme. C’est l’acte réflexe à un plus haut degré. Il en est ainsi pour tous les sens, que l’auteur semble réduire au toucher, médiat ou immédiat, puisque l’impression de l’objet n’est pour lui que l’objet figuré.

Ce qui résulte évidemment de l’analyse des phénomènes sensoriels, c’est que Gomez Pereira distingue la sensation (perception) de la conscience réfléchie (aperception). Donc il nie la simultanéité des phénomènes proprement dits psychologiques, qui sont, en effet, des actes successifs et éventuels, les premiers étant indépendants des suivants : l’impression est indépendante de la perception, et celle-ci de l’aperception. Reste donc comme élément primordial le pur acte réflexe, décomposable en action et en réaction. Telle est la sensation des animaux. L’homme a, en plus, la perception. Beaucoup ne vont pas au delà, jusqu’à la perception. D’où la question de Stahl : « Combien y en a-t-il qui pensent qu’ils pensent ? »

Ce qu’on pourrait appeler le réflexe de la pensée n’est qu’à l’usage des penseurs. Et cet acte même, si rare, est successif, consécutif, et non concomitant, simultané. Il est provoqué, comme tous les autres, non spontané, étant lui-même une réaction dont le vulgaire n’est point capable. Ne philosophe pas qui veut. Du degré de la réaction dépend la valeur de celui qui pense et observe. Le commun des observateurs enregistre et ne réfléchit point. Le monde est rempli de savants qui ne savent pas ce que c’est que l’aperception : ils encombrent les académies et les écoles. La majorité se compose d’instruments enregistreurs, plus fidèles par leur passivité même que d’autres qui vont au delà. Il y a loin de l’empirisme à l’expé-