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abstractive. La confusion résulte des termes mal définis et partant mal compris. Il a raison, ce novateur : la philosophie à vécu et vit encore de logomachies. Guerre au galimatias, fût-il fleuri comme chez Platon et Malebranche. Aristote lui-même a souvent oublié d’allumer sa lanterne. Héraclite devint illustre par ses énigmes, clarus ob obscuram linguam. Et combien d’autres qui ne doivent qu’à l’obscurité du langage leur réputation de profondeur ! Qui donc voudrait philosopher sans penser juste et parler clairement ?

Est-il rien de plus futile au fond que l’interminable querelle des réalistes et des nominaux ? Intuition, abstraction : voilà sur quoi sont partagés les avis. Connaissance directe, involontaire, passive ; connaissance indirecte, volontaire, active. On dispute sur les termes ; mais tous s’accordent sur un point, à savoir que l’âme ne peut sentir ni comprendre, à moins d’être affectée d’un accident distinct d’elle-même, omnes tamen conveniunt, non posse animam nostram quidquam sentire, aut intelligere, si ipsa non afficiatur accidente realiter a se distincto. Les objections à cette doctrine sont empruntées aux états de conscience dans la veille et dans le sommeil. Les théories diverses sont résumées, critiquées, réfutées succinctement. Voici le point essentiel de celle de l’auteur : c’est que de tous les objets qui sont connus par les sens externes quelque chose passe dans les organes de la faculté de sentir, ab omnibus rebus quæ sensibus exterioribus cognoscuntur aliquid in organa facultatum sensitivarum induci. Si ce quelque chose diffère de l’agent qui le produit, il reçoit le nom d’espèce, par exemple, la couleur, la saveur, la vision, la dégustation ; mais s’il y a identité entre l’effet et la cause, le nom d’espèce est impropre, bien que la faculté sensitive en soit affectée comme par l’espèce ; et c’est le générateur qui donne son nom au produit. Cela est admis par presque tous les physiciens, sauf Ockam et son école.

Ces espèces ou accidents semblables aux agents qui pénètrent jusqu’aux organes des facultés, par lesquels nous connaissons immédiatement les choses extérieures, ne peuvent s’appeler sensations, en rigueur ; elles sont plutôt les causes immédiates de la sensation, sans lesquelles la sensation ne serait point. C’est le pied qui produit la trace, c’est le cachet qui marque l’empreinte dans la cire. Or la trace et l’empreinte persistent sur la poussière et dans la cire, en l’absence du pied et du cachet. C’est la forme identique à la chose figurée, et non un accident distinct de la chose même. Il ne suffit pas que l’organe sensitif reçoive l’impression de l’objet pour qu’il y ait sensation ; il y faut de plus l’attention, sed ultra requiritur animadversio ; point de sensation dans la perception. Elle diffère donc de la simple