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quence, ita ipsi animæ permissum est in infinitis modis se habendi affici. Encore une fois, des modes divers, et non des entités.

Avant d’aborder la question de savoir si les diverses manières d’être de l’âme sont ou ne sont pas distinctes de l’âme elle-même, l’auteur revient sur la démonstration qu’il croit avoir donnée aux plus savants physiciens, de la thèse que les animaux ne sauraient sentir, bruta sentire non posse ; puisque la sensation ne convient qu’aux âmes séparables du corps, ainsi qu’il promet de le démontrer dans le dernier chapitre, qui traite de l’immortalité de l’âme. C’est à ce traité final qu’il renvoie le lecteur pour la solution des problèmes insolubles. Autant le renvoyer aux calendes grecques. Huarte a suivi le même procédé : il a aussi un chapitre final où ne se trouve aucune des solutions promises dans le corps de l’ouvrage. C’est ainsi que ces auteurs pratiquaient le doute méthodique, sans programme ni profession de foi, en vrais sceptiques. Il faut les lire en se souvenant du proverbe espagnol qui dit que le diable se cache derrière la croix. Les apparences sont orthodoxes ; le fond de la doctrine se moque de l’orthodoxie. Il y a là une sorte d’hypocrisie obligatoire, trop justifiée par des institutions détestables. L’écrivain se cache sous le masque, et la doctrine équivoque est une des précautions que lui conseille la prudence : il s’agit de servir la vérité sans encourir le soupçon. Plaignons et admirons les vaillants de l’esprit qui ont dû se soumettre à ce régime.

La connaissance formelle de l’âme connaissant un objet extérieur est-elle quelque chose d’étranger ou d’identique à l’âme ? En réalité il n’y a point de différence, ou elle est purement théorique, affirmantes non realiter, sed ratione ipsa differre. Il est impossible qu’aucune connaissance soit essentiellement distincte du connaissant. Il suffit de le prouver pour les sensations externes. À ce sujet l’auteur fait une dissertation sur la vision, laquelle s’opère soit au centre du cristallin ou de l’humeur vitrée, soit à l’entre-croisement des nerfs optiques, pour prouver que les sensations externes ne sont pas en réalité distinctes de l’âme qui les perçoit, sensationes exteriores non esse aliquid distincti ab anima probatur. Après cela, il démontre que les sensations, qu’on appelle vulgairement des accidents distincts du sujet, ne sont ni plus parfaites ni moins imparfaites que les objets producteurs ; et il conclut qu’un esprit sensé ne saurait admettre qu’elles soient des qualités distinctes du sujet sentant.

Il ne prend pas la peine de démontrer, car, dit-il, c’est chose connue que les sensations, qui sont des modes de la vitalité, sont plus parfaites que les accidents qui produisent les notions senso-