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guardia. — philosophes espagnols

rielles. Et il développe cet aphorisme, que rien ne saurait produire plus parfait que soi. La démonstration est un peu subtile, et l’aphorisme paraît trop absolu, particulièrement dans l’ordre organique et vital.

Plus plausible est l’assertion que les objets qui n’ont point la perfection des sensations ne sauraient la donner aux sensations. Dans la vision, la connaissance ne vient pas seulement de l’objet et de la faculté sensitive, mais encore de la lumière, qui, étant plus subtile que la couleur, concourt à la production de l’acte visuel. On remarquera cette insistance à chercher le lien intermédiaire entre le sujet et l’objet, par un besoin de clarté et probablement par l’habitude du raisonnement à trois termes, le syllogisme, qu’il manie avec la dextérité d’un maître en l’art de raisonner.

Cet esprit vigoureux passe toutes ses idées au filtre de la raison. C’est très ingénieusement qu’il argumente contre ceux qui soutiennent que les sensations sont des accidents réellement distincts de l’âme sensitive ; et par des comparaisons purement mécaniques (les trois hommes qui tirent sur une poutre), il pense avoir suffisamment établi, et que les sensations ne sont pas des accidents, et que, si elles en étaient, elles ne seraient ni de la nature des corps, ni de la nature des esprits. Or, le corporel ne peut engendrer le spirituel, soit en partie, soit en totalité, et les objets qui tombent sous les sens sont corporels : donc ils ne sauraient concourir à la génération des sensations.

Après un bref développement, il examine la force sensitive. D’après ce qui précède, elle ne saurait, même étant corporelle, produire la sensation. Si elle était spirituelle, c’est par elle-même qu’elle agirait. Reprenant ensuite les points douteux touchant les images, il dit : Nous en avons ajourné l’examen, afin de pouvoir nous donner libre carrière dans ces vastes plaines de la spéculation psychologique, ut in hos spatiosissimos campos speculationis actuum animæ vagari liceret. Ce cri révèle la vocation. Un artiste se plaît à composer. Le philosophe pense, et c’est pour lui la volupté suprême, d’un ordre bien supérieur à la jouissance du styliste qui cisèle les phrases et jongle avec les mots.

Peu d’hommes ont pensé autant que Gomez Pereira. Sa prodigieuse curiosité le pousse aux investigations les plus ardues. Deux vérités lui sont démontrées : la première, que les images des choses ne peuvent être des accidents inhérents à l’âme ; la seconde, que si elles sont corps ou un accident uni au corps, ce corps où elles sont est nécessairement séparé de l’homme même, quand il serait contenu dans son cerveau. Or, c’est l’âme qui connaît, et l’image qui est connais-