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REVUE GÉNÉRALE.giordano bruno

sphère. Le système de Copernic était le point de départ. Bruno célébrait d’ailleurs le père de l’astronomie moderne avec un enthousiasme de néophyte, avec autant de feu, sinon de génie, que l’ami de Memmius entonnait les louanges du divin Épicure, maître et sauveur.

Oxford, habitué à voir régner en souverain le péripatétisme scolastique, fut en émoi, fut en fureur, et Bruno s’éloigna encore.

Il revint à Londres. Les free thinkers, affiliés aux déistes de l’Europe entière, et qui recevront cent années plus tard Saint-Evremond, luttaient sourdement contre les milices catholiques. Un ambassadeur vénitien, dans ce pays qui verra Cromwell et Milton, pouvait écrire au temps d’Élisabeth que « les lords anglais étaient en matière religieuse les plus indifférents du monde, et se seraient aussi bien faits juifs ou mahométans. »

En somme, et sans suivre Bruno pas à pas, il reste de ce séjour en Angleterre une moisson d’œuvres qui montrent une maturité commençante, un labeur moins distrait, une paix relative dans l’existence et la pensée. Philosophie spéculative comme les rêves cosmologiques de l’Infini, l’Univers et les mondes, un pamphlet contre Rome, le Spaccio della Bestia trionfante, où la bête triomphante est l’Église qui devait dévorer le philosophe, Giordano produisit en ces deux années et publia quelques-uns de ses principaux écrits.

Un système cosmologique, une philosophie morale, une physique générale appuyée d’un système de l’esprit humain, naissaient de ce cerveau bouillant. Il écrivait en italien, et sous la forme du dialogue, qui se prêtait à son talent prolixe et militant. C’était un réquisitoire contre tout ce qu’avait élevé ou maintenu le moyen âge. L’emploi même de la langue vulgaire marquait l’intention du rénovateur.

Dans ces vers au ton d’oracle, ce que Giordano célèbre et décrit en son principe et ses attributs, c’est

… « La cause, principe, éternelle unité
D’où l’être vient, et le mouvement, et la vie,
Et qui s’étend en long, en large, et en profond[1]. »

Son désir de quitter sa patrie, de tout supporter, de tout voir et de tout étudier afin de « s’emplir de fureur poétique[2] », cette soif de sagesse et de renommée se donna carrière en ces écrits. Un lyrisme ardent les anime ; C’est un torrent de mots, d’images, roulant les bribes magnifiques d’un savoir incertain et vaste. Partout aussi, sous

  1. Op. ital., II, 12.
  2. De Monade.