Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVIII, 1889.djvu/424

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
414
revue philosophique

parole du monde antique, les grandes doctrines païennes, « il nuovo lume », comme il dit, « la lumière nouvelle, antique chose qui renaît ! » — « cosa antica, che rivenga[1] ». Élisabeth régnait, odieuse à l’Inquisition, haïe des princes catholiques.

À qui ne connaît pas le xvie siècle, il pourrait sembler singulier que Henri III ait recommandé le philosophe apostat, et surtout à l’ambassadeur Michel de Castelnau[2]. Ce fut pourtant Castelnau, le futur ennemi des conjurés d’Amboise, qui patronna Bruno à Londres. Cet ami du cardinal de Lorraine était un admirable modèle de ces hommes d’alors, bons à tout et bons pour tout, diplomates, guerriers, savants, humanistes et gens du monde. Représenter la France durant dix années auprès d’Élisabeth, après avoir conduit Marie Stuart en Écosse, ce fut un des jeux où réussit ce soldat de Dreux, de Jarnac et Moncontour, qui laissa des mémoires exquis et forts.

Le nom de Castelnau revient sans cesse, avec un élan de reconnaissance, dans les écrits de Bruno, La première œuvre publiée à Londres, Explicatio triginta sigillorum, lui est dédiée, sans préjudice d’une trilogie métaphysique en italien. « C’est lui, dit-il, qui me reçut, me défendit, me délivra, me maintint sauf, me garda un port, au milieu des outrages iniques que j’endurais…[3] » Sur le socle de la statue du philosophe italien, il devrait y avoir ce nom français, reste d’un temps où l’Italie savait payer ses dettes de reconnaissance, preuve d’un âge disparu.

Ce n’est pas un des moindres charmes des écrits qu’a laissés Bruno, cet incessant retour de sa vie réelle parmi les recherches de la pensée, et ses livres prennent à ce perpétuel mélange de l’action et de l’art spéculatif quelque chose des dialogues platoniciens[4].

Il jouissait, chez Castelnau, d’une absolue liberté. Apologiste de lui-même avec une abondance et une indiscrétion toutes latines, il se vit, malgré sa faconde vaniteuse, ouvrir par le vice-chancelier les portes d’Oxford. Toujours épris des mêmes sujets, il parla sur la quadruple sphère et sur l’immortalité de l’âme. Il se sentait plus à l’aise, et put « répandre un meilleur froment ». Un vague transformisme, moins nettement exprimé que dans les parties philosophiques des poèmes virgiliens, était le fond de ces leçons. Plus incertain dans celles qui concernaient l’immortalité de l’âme, il s’entourait d’un appareil scientifique dans les entretiens sur la quadruple

  1. Op. ital., II, 182.
  2. Et non Castelneuf de Mauvissier, comme M. Levi appelie Castelnau, né à la Mauvissière, près de Tours.
  3. De causa, principio et uno, p. 201.
  4. Cf. Cena celle Ceneri. I, 268. Op. ital.