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que nous jugeons immédiatement de leur vitesse et de leur direction, c’est d’elle aussi que doit dépendre notre première impression esthétique. » Puis il parle de l’acuité de la vue et de la persistance des images visuelles. Cette persistance des images rétiniennes, qui empêche de percevoir nettement les objets mobiles, a des conséquences importantes, il le fait bien remarquer, au point de vue esthétique. Rien n’est difficile, pour le sculpteur, pour le peintre, comme de figurer, avec des lignes fixes, le galop du cheval, par exemple. L’artiste n’y réussit qu’en trichant avec la réalité. Si l’on considère plutôt le mouvement des yeux, la conclusion n’est pas différente. « Le mouvement des objets ne produira une impression favorable que s’il est nettement perceptible. Pour cela, il est indispensable que les objets mobiles n’occupent qu’une faible partie du champ visuel, et il est bon qu’il y ait dans leurs mouvements une certaine symétrie. » En un mot, les mouvements les plus agréables à voir sont ceux « qui peuvent être perçus avec un moindre effort intellectuel ».

Reste la « qualité affective » des perceptions visuelles. Elle ne jouerait, selon M. S., qu’un faible rôle dans l’esthétique du mouvement. Non pas qu’il nie la préférence de l’œil pour certaines directions de mouvement ; mais il se refuse à tirer de cette préférence toute une esthétique des formes et des lignes. M. Charles Henry a ramené, comme on sait, le problème à cet énoncé : Quelles sont les directions agréables ? Cela suppose, remarque M. S., que, lorsque nous percevons une ligne, nous la suivons du regard. Mais cela n’est pas vrai ; notre regard ne dessine nullement l’objet, il cherche un point central pour en embrasser l’ensemble ; nous prendrons plutôt, pour regarder une ligne courbe, notre point principal au centre de la surface qu’elle circonscrit. Dans un tableau, comme dans la nature, ce qui détermine notre impression esthétique, ce ne sont pas les lignes du contour, c’est ce qu’il y à l’intérieur de ces lignes ; notre œil ne voit de formes que là où il y a un plein. Bref, « l’influence du mouvement des yeux ne contribue à déterminer nos jugements esthétiques que d’une manière en quelque sorte négative, puisque tout ce que nous demandons à une figure (cette assertion, cela soit dit entre parenthèses, me paraît fort exagérée), c’est de ne nous obliger à aucun mouvement. »

Comment expliquer alors l’agrément de certaines lignes, la différence d’effet d’un polygone étoilé, d’un cercle, d’un ovale, d’une croix, d’un carré, d’un triangle ? M. S. tente d’expliquer cette différence « par des raisons d’expression et de sympathie ».

Citons une page entière :

« Telles sont les sensations musculaires que la vue de la ligne éveille indirectement en nous. Nous sommes disposés en effet à la regarder, non comme une limite géométrique, mais comme un objet matériel et consistant, comme un fil plus ou moins tendu, dont la forme même nous indique la tension. Ainsi une ligne droite nous donnera plutôt une impression de rigidité, d’effort ; une ligne sinueuse nous semblera