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analyses. — p. souriau. L’esthétique du mouvement.

Ici l’auteur s’est laissé aller, entraîné sans doute par l’exemple de Guyau, dont l’esthétique, je l’avoue, ne me revient point. Il prouve trop, cette fois, pour avoir raison. Dès qu’il ne s’agit que de « combiner ses mouvements en vue d’une fin préconçue », l’épervier qui fond sur l’oisillon, le corbeau s’attablant à une charogne, ne sont pas moins artistes que l’hirondelle qui plane pour happer des moucherons. Tout ce que je voudrais dire, pour ne pas m’engager trop, c’est que la nature nous offre toute sorte d’éléments, — mouvements, couleurs, sons, actions, qui nous « plaisent » en vertu de notre sensibilité propre, jusqu’à en former des combinaisons, des traductions selon notre fantaisie, si nous sommes des artistes. L’apparition du jeu marque bien, à mon avis, la possibilité de l’art ; j’hésite cependant à reconnaître même une ébauche de l’art dans le jeu des animaux.

Quoi qu’il en soit de ce point particulier, je m’étonne que M. S. n’ait pas été amené par son sujet même à voir dans la danse ce que M. Ribot y a montré, en une leçon de cette année au Collège de France, — la soudure entre le jeu et l’art proprement dit. La danse, en effet, offre les principaux caractères de l’art : elle est un jeu, elle est une combinaison, elle est une représentation ; ajoutons qu’elle est universelle. Il se peut que les postures de ces danseurs sénégalais manquent de grâce, et nous jugerons alors que leur danse est grossière ; elle n’en est pas moins quelque chose d’autre, positivement, que de chasser un quadrupède ou de pousser un canot sur la rivière.

Dans la troisième partie, Expression du mouvement, M. S. considère en premier lieu l’expression de l’aisance, ce qu’on appelle la grâce. La grâce n’est réductible ni à la beauté mécanique, ni au moindre effort musculaire. On peut la définir l’expression de l’aisance physique et morale dans le mouvement. Ce chapitre est intéressant à lire. On remarquera l’insistance de M. S. à ne pas séparer la grâce du désir de plaire. L’idée que la grâce des mouvements est absolument naturelle, c’est-à-dire toute fortuite, tout automatique, et que le goût n’y est pour rien, l’empêcherait de l’admirer. « Je ne veux pas, écrit-il, qu’elle ait l’air trop cherchée, trop préparée ; mais il faut encore qu’elle me semble intentionnelle. J’irai plus loin. À mon avis, un peu de coquetterie ne lui messied pas… » Il n’est rien d’absolu en ce monde, voilà qui est accordé, et les philosophes ont forcé le sens du mot désintéressé. Cela n’atteint point la théorie du jeu ; l’indécision de quelques détails n’empêche pas de voir la masse.

Venons maintenant à la quatrième partie, Perception du mouvement. Ce qui regarde la vision y est traité avec un soin particulier, sous les titres qui suivent : mouvement des objets dans le champ visuel, mouvement des yeux, plaisir des yeux.

Ici les questions se pressent. M. S. étudie d’abord la localisation des sensations visuelles, et conclut « que les mouvements qui nous coûtent le moindre effort de perception doivent être ceux qui se projettent en silhouette dans le champ visuel ; comme c’est d’après cette projection