Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVIII, 1889.djvu/463

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
453
G. TARDE.le crime et l’épilepsie

que, les jours d’orage, où les accès des épileptiques deviennent plus fréquents, les hôtes des prisons deviennent plus dangereux, déchirent leurs vêtements, brisent leur mobilier, frappent leurs surveillants. Dans certains cas, nous dit-on encore, il y a une sorte d’aura criminelle qui précède le délit et le fait pressentir, et l’on nous cite un jeune homme « dont la famille s’apercevait qu’il méditait un vol quand il portait continuellement la main au nez, habitude qui finit par le lui déformer. » Quant à l’éclipse de mémoire après l’accès délictueux, elle a été observée par Bianchi sur quatre fous moraux, et l’on sait aussi que les enfants, ces criminels temporaires, ont l’oubli facile de leurs méfaits. Mais qu’est-ce que les enfants n’oublient pas très vite, méfaits ou surtout bienfaits[1] ?

Autre analogie, bien inattendue, entre les criminels-nés et les épileptiques. Leur manière de marcher, étudiée suivant la méthode de Gilles de la Tourette[2], est la même, et diffère pareillement de celle des gens ordinaires, l’inverse de ceux-ci, les individus anormaux dont il s’agit marchent en faisant le pas gauche un peu plus long que le droit ; en outre, toujours contrairement à l’allure morale, ils s’écartent de la ligne d’axe un peu plus à droite qu’à gauche, et leur pied gauche, en se posant à terre, forme avec cette ligne un angle de déviation plus prononcé que l’angle formé par leur pied droit. Tels sont les trois caractères par lesquels, d’après les mesures du Dr Perrachia et de Lombroso lui-même, l’allure des coquins, non moins que leur conduite, s’opposerait à celle des honnêtes gens et ressemblerait à celle des malheureux atteints du mal caduc. Par malheur, on ne nous dit pas sur quel chiffre d’observations ces conclusions sont fondées ; et il est fort possible qu’un nouvel anthropologiste, reprenant les recherches du Dr Perrachia, arrive à des résultats tout contraires, comme il est arrivé trop souvent en anthropologie criminelle. D’après Lombroso, par exemple, le criminel a la taille supérieure à la moyenne ; d’après plusieurs de ses collègues, il l’a inférieure, et, en cela, ces derniers sont d’accord avec d’anciens auteurs tels que Ferrus[3], qui cite des observations portant sur la population prisonnière de France et d’Angleterre. Si notre auteur a pu se tromper à propos des mesures aussi simples que celle de la taille, il est peut-être permis de ne pas accepter sans réserve ses chiffres relatifs à des mensurations tout autrement complexes et difficiles.

  1. Il en est, du reste, de l’amnésie épileptique comme de l’amnésie hypnotique, qui n’est pas sans de nombreuses exceptions, comme le prouvent les sujets de M. Delbœuf.
  2. Dans ses Études cliniques et pathologiques sur la marche. Paris, 1886.
  3. Les Prisonniers, par Ferrus, p. 76.