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G. TARDE.le crime et l’épilepsie

carrière d’assassinats cupides ou vindicatifs, à tuer un homme pour un gain de quelques centimes ou une simple injure, ou même, très rarement, pour le seul plaisir de tuer ; et, bien qu’ici le crime puisse être réputé sans motif, ou sans motif suffisant, la culpabilité de l’auteur n’en est pas le moins du monde atténuée. Car, à la longue, le goût du sang pour le sang chez le meurtrier, comme la soif de l’or pour l’or chez l’homme cupide, est, non pas une anomalie, non pas un symptôme d’aliénation de soi, mais, au contraire, l’expression et le fruit de leur nature la plus propre, de celle qu’ils se sont faite eux-mêmes et peu à peu, par la consolidation de leur volonté en habitude.

III. — Passons aux délinquants per impeto, c’est-à-dire par éclat de passion, par coup de foudre. Leur proportion, très mince, est de 5 à 6 p. 100 en Prusse et en Suisse. Ils sont très jeunes, de dix-huit à vingt-cinq ans ; plus nombreux parmi les femmes que dans notre sexe ; très honnêtes au fond, très sensibles. Leur repentir après le crime va jusqu’au suicide. Beaucoup de délinquants politiques et de mères infanticides peuvent être rangés dans cette catégorie. — Certes, ils ne ressemblent guère aux précédents. Eh bien, ils n’en sont pas moins, eux-mêmes, des épileptiques dissimulés. Tel était ce jeune homme qui, pour se venger des refus de sa maîtresse, l’attendit, la tua en plein jour au milieu de ses amies, puis se jeta sur son cadavre qu’il couvrit de baisers et dont il fut impossible, pendant des heures, de le détacher… Mais ces violentes attaques d’amour ou d’honneur, remarquons-le, ces foudroiements du cœur, éclatent surtout parmi les peuples primitifs, les plus exempts de névroses. — Si tous les passionnés explosibles sont des épileptiques, autant vaut dire tout de suite que l’on entend par épilepsie la passion, purement et simplement.

Aux meurtriers de cet ordre notre auteur relie les suicidés par passion et par folie. Les suicides qui ont cette cause, sous forme amoureuse, vont en augmentant dans les capitales, à Paris et à Madrid par exemple, pendant que, dans la masse de la population, ils vont en diminuant. Mais ne nous écartons pas de notre sujet. Une question seulement : si les femmes qui se suicident par amour sont des névrosées, leur mal n’est-il pas plutôt l’hystérie que l’épilepsie ?

IV. — Occupons-nous du criminel aliéné. Ici, nous ne suivrons plus Lombroso de si près ; car il est difficile de le résumer. Après avoir énuméré toutes sortes de raisons d’identifier ou d’assimiler le fou criminel au criminel-né[1], il consacre un chapitre à montrer au lecteur, un

  1. La folie est fréquente dans les prisons. D’après la statistique prussienne de Somner, la population libre présente 1 fou sur 250 ou 400 habitants, la popula-