Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVIII, 1889.djvu/470

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
460
revue philosophique

espèce de délit, mais encore, parmi les folies d’autre nature, il n’en est pas une qui ne paye son tribut criminel plus ou moins considérable. Au nombre de celles-ci, le mattoïdisme mérite une place à part. Combinaison d’imbécillité et de mégalomanie, il consiste en une bouffissure extravagante d’orgueil, d’ambition, dans une tête faible. Le mattoïde, suivant Lombroso, est le produit d’une civilisation hâtive et factice. Il change souvent de métier, comme la plupart des délinquants, d’ailleurs. Il est processif, polémiste enragé, tourmenté d’idées fixes enrichies de développements contradictoires. Démoralisé par hypertrophie du moi, il partage avec le génie l’aptitude à s’affranchir de la tradition et de la coutume, du misonéisme populaire. Aussi peut-il jouer un rôle en politique. Beaucoup de régicides et de présidenticides ont été mattoïdes ; beaucoup de chefs de parti pareillement. — Eux aussi puiseraient à la grande source épileptique leur délictuosité. Guiteau, par exemple, en tuant le président Garfield, semble avoir cédé à une crise épileptoïde dont ce meurtre a été le dénouement. — Mais n’oublions pas qu’il y a de bons mattoïdes, par exemple don Quichotte. Au demeurant, le mattoïde véritable est un fou dangereux, mais moralement irresponsable ; partant, il n’est pas criminel.

Ce n’est pas Lombroso qui me contredira, puisqu’il s’est donné la peine de marquer par le menu toutes les différences qui séparent le criminel du fou[1]. Mais à vrai dire, ce n’est pas sur la différence essentielle qu’il insiste. L’acte du fou se caractérise par la prédominance d’un mobile non pas toujours disproportionné ni absolument imaginaire, mais en désaccord avec le caractère normal du sujet. A…tue son compagnon parce que celui-ci a refusé de lui cirer ses souliers. Il y a folie si A… est bon d’ordinaire et aime son compagnon ; il y a crime si A… est né méchant, irascible et susceptible à l’excès, et a de l’antipathie contre sa victime. Ai-je besoin de citer tant d’exemples connus de fous homicides qui, sentant venir l’accès sanguinaire, supplient leurs gardiens de leur lier les mains ? [2] ou de fils, de frères, d’amis, qui aiment profondément leur mère, leur frère, leur ami, et, à certains moments, s’éloignent d’eux pour ne pas céder au désir invincible de les tuer ? Le fou, d’un instant à l’autre, est dissemblable à lui-même, et si quelques-uns de ses actes, ceux

  1. À la fin, en se résumant, il tâche de se concilier avec lui-même. Parmi les variétés de folie criminelle, dit-il, il en est qui présentent le type renforcé du criminel-né, regardé à travers un fort grossissement. Or, celles-ci sont voisines de l’épilepsie (?). D’autres sont en parfait contraste avec le type criminel. C’est qu’elles n’ont rien d’épileptique…
  2. Voir, à ce sujet, Maladies de la volonté, par Ribot (citation de Marc), et Lombroso lui-même (citations d’Esquirol), p. 225 et s., 257 et s.