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G. TARDE.le crime et l’épilepsie

dont l’enchaînement constitue ce qu’on appelle abusivement son crime, ont une certaine cohérence, rien n’est plus incohérent que l’ensemble de ses sentiments et de sa conduite. Au contraire, le vrai délinquant ne se dément jamais. — Parfois, il est vrai, ce que nous avons vu se produire plus haut à propos de l’épilepsie se montre encore à nous ; on voit « le délit et la folie se fondre ensemble complètement depuis la naissance » et, par suite, la criminalité acquérir la perfection d’un instinct, d’une habitude organisée, d’une volonté incarnée. Ici il y a accord, et non désaccord, entre le caractère normal et le caractère morbide, mais les deux diffèrent néanmoins ; ils diffèrent en degré, sinon en nature, comme on en a la preuve par l’intermittence des accès ; et cette différence de degré, qui exagère alors la ruse en perfidie, la méchanceté en férocité, la débauche en dépravation, équivaut souvent à une dissemblance radicale. Sans doute, dans ces cas rares, le problème de la responsabilité est singulièrement délicat, mais il n’est pas insoluble.

V. — Le délinquant alcoolique ne nous occupera guère, malgré l’antiquité de l’alcoolisme que Lombroso fait remonter à la pomme d’Êve, fruit d’un pommier à cidre évidemment. J’accorde que l’accès d’ivrognerie rappelle à quelques égards l’attaque d’épilepsie, que l’ivrogne, comme l’épileptique, est souvent cynique, d’une obscénité humoristique, que, à l’état d’ivresse, il est exposé à tuer son meilleur ami, puis à s’endormir et à oublier tout ce qu’il a fait. Je veux bien enfin que l’alcoolisme, quand il s’ajoute à l’épilepsie, double ou décuple ses effets. Mais tout cela, je l’avoue, ne parvient à me prouver ni que tout épileptique ou tout ivrogne soit criminel, ni que tout crime ait sa source profonde dans l’ivrognerie ou dans l’épilepsie.

VI. — Le délinquant hystérique ne nous retiendra pas beaucoup plus. On peut se demander pourquoi Lombroso attribue à l’épilepsie, plutôt qu’à l’hystérie, quand on a lu toutes les similitudes très réelles qu’il découvre entre elles, la vertu criminogène que l’on sait. On n’en voit qu’une raison, c’est que, l’hystérie étant rarissime dans notre sexe, il eût été difficile d’expliquer par là la délictuosité masculine, c’est-à-dire la presque totalité de la criminalité générale. Du reste, l’hystérie ressemble fort à l’épilepsie, ne serait-ce que par sa dissemblance constante avec elle-même, par son transformisme intérieur qui se reflète si bien dans l’écriture protéiforme des hystériques comme dans la mobilité de leur humeur. La grande attaque hystérique présente surtout les plus frappants rapports avec l’attaque épileptique. Comme celle-ci, elle est précédée d’une perturbation profonde du caractère dans le sens d’un égoïsme et d’un amour-