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A. BINET.sur les mouvements volontaires

souvent rappelée ; elle avait trait à une femme hystérique anesthésique à gauche, qui allaitait son enfant ; toutes les fois qu’elle tenait l’enfant avec son bras gauche, si elle cessait de le regarder, l’enfant était en danger de tomber. Duchenne (de Boulogne), Martin-Magron, Liégeois, Lasègue, Baillif, ont publié des observations analogues, et nous en avons recueilli nous-même un assez grand nombre.

On a construit au moyen de ces faits un grand nombre de théories ; on avait cru tout d’abord que cet affaiblissement musculaire produit par la suppression des excitations visuelles était le résultat d’une perte du sens musculaire. Duchenne (de Boulogne), par exemple, décrivait ce phénomène sous le nom de paralysie de la conscience musculaire. On paraît aujourd’hui abandonner cette idée, et je crois qu’on a raison. Lasègue fit à ce propos une expérience intéressante. L’une de ses malades ne pouvait remuer les doigts de la main gauche, quand elle avait les yeux fermés ; mais si on appliquait cette main gauche, qui était anesthésique, sur sa tête, dont les téguments avaient conservé leur sensibilité normale, il lui était possible d’exécuter avec les doigts des actes définis. « Le toucher, remarquait Lasègue, vient donc se substituer au sens de l’action musculaire des doigts et de la vue, en avertissant le malade que le mouvement s’accomplit selon son intention. Mais cette influence des sens ne fournit pas à elle seule l’interprétation de l’impotence, car le rôle qu’elle joue dans la physiologie musculaire est consécutif à la contraction ; il est impossible de supposer qu’elle préside au mouvement et à son origine. »

M. Pitres, qui est revenu récemment sur cette question, a retrouvé chez un malade cette influence de la sensation tactile qui peut faire disparaître l’impotence motrice résultant de la prétendue paralysie de la conscience musculaire. En outre, cet auteur a observé qu’on peut rendre l’aptitude motrice au membre sans faire intervenir aucune influence sensorielle. C’est ainsi que des mouvements continus ou régulièrement rythmés, commencés les yeux ouverts, peuvent être continués les yeux fermés. C’est ainsi encore que certains mouvements synergiquement associés peuvent être exécutés d’emblée malgré l’occlusion des paupières. M. Pitres en conclut que les phénomènes décrits par Duchenne sous le nom de paralysie de la conscience musculaire dépendent surtout d’un trouble partiel des incitations motrices. En effet, si cette paralysie était réellement due à une altération du sens musculaire, on ne comprendrait pas qu’elle cessât dans la production de ces mouvements synergiquement associés, car ces mouvements n’éveillent aucune sensation musculaire dans les membres anesthésiques.