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taisie, mais des faits réels ; mais en même temps il oubliait complètement qu’il répétait le même récit une dizaine de fois en une heure. Un autre racontait très bien les travaux littéraires qu’il avait faits avant sa maladie, mais la nouvelle qu’il avait commencée immédiatement avant de tomber malade, il en avait une idée très confuse : il se rappelait le commencement, mais il ne pouvait se faire une idée de la manière dont elle devait se terminer. Un troisième malade, grand connaisseur en anatomie chirurgicale, faisait une description d’une exactitude pédantesque de la façon dont sont disposés les vaisseaux de telle ou telle partie du corps, mais, en même temps, il ne se souvenait de rien de ce qui se passait pendant sa maladie. Les malades assurent ordinairement qu’ils se rappellent tout leur passé avant la maladie et en effet on peut leur faire rappeler presque tout ce que peut retenir une mémoire moyenne. Parfois, cependant, on peut observer que, même dans ces cas, leur mémoire paraît un peu rebelle ils peuvent en effet se rappeler tout, mais il faut les questionner sur les détails, diriger leur attention, sinon ils parlent même des choses passées confusément, laissant passer les détails. Mais les choses que le malade répétait souvent à l’état de santé, certains proverbes, par exemple, certaines locutions, sont répétés sans cesse dans une forme stéréotypée. Le malade qui connaissait si bien l’anatomie chirurgicale, donnait toujours ses réponses concernant cette science sous la même forme stéréotypée ; les descriptions de voyage que faisait l’autre malade étaient faites avec les mêmes expressions (il faut remarquer que le malade, même étant sain, aimait à raconter ses voyages ; les récits qu’il faisait dans sa maladie n’étaient que les répétitions de récits précédents).

À côté de cette conservation visible de la mémoire pour tout le passé avant la maladie, on est vivement frappé, comme nous l’avons dit, par l’absence de mémoire pour les choses récentes. Souvent le malade oublie non seulement combien de temps dure sa maladie, mais encore, parfois, il oublie qu’il est tellement malade qu’il ne peut se lever. On peut entendre presque tous ces malades dire qu’ils sont sortis dans la journée, bien qu’ils soient alités depuis plusieurs semaines. Nous avons entendu un de ces malades qui disait presque toujours : « Je me suis attardé au lit aujourd’hui, je vais me lever ; seulement en ce moment j’ai des crampes dans les jambes ; aussitôt que ce sera passé, je me lèverai. » Il avait des contractures et une paralysie des jambes, mais il l’oubliait et croyait que sa faiblesse était l’affaire d’un moment. Ce même malade affirmait qu’il n’avait aucune douleur dans les jambes, tandis qu’il avait de très fortes douleurs lancinantes ; au moment de la douleur il