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KORSAKOFF.des maladies de la mémoire

aussi modifiés dans cette maladie et que la maladie que nous nommons névrite multiple se développe dans des circonstances qui doivent influer sur toutes les parties du système nerveux et non seulement sur les tubes (intoxications, cachexie, etc.).

Quoi qu’il en soit, dans la névrite multiple on constate des troubles psychiques. Ces troubles se font voir sous différentes formes, mais l’une des plus caractéristiques c’est un trouble particulier de la mémoire. J’ai pu observer cette forme dans beaucoup de cas et je vais décrire ses particularités. Lorsque cette forme est bien prononcée, on peut remarquer que c’est la mémoire des faits récents qui est le plus troublée ; les perceptions les plus récentes semblent disparaître en peu de temps, tandis que les impressions anciennes se rappellent assez bien ; en même temps que le jugement, la finesse et la présence d’esprit restent à peu près les mêmes (non altérés).

Par exemple le malade ne peut se rappeler s’il a diné, bien qu’on vienne seulement de desservir la table, et cependant ce même malade joue bien aux cartes, aux dames. À ces jeux il agit avec prévoyance, voit d’avance les suites funestes d’un mauvais coup de son adversaire et il peut faire toute la partie d’après un plan. Si tous les partenaires restent à leur place, il se représente clairement la marche du jeu ; mais, s’il leur arrive de changer de place, il n’est plus en état de continuer la partie. Dès qu’on a enlevé les dames ou les cartes et qu’il ne reste plus de trace de la partie, il l’oublie complètement et affirme qu’il n’a pas joué depuis longtemps. Il en arrive de même pour les personnes : le malade les reconnaît, s’il les a connues avant sa maladie ; il raisonne avec elles, fait des observations, spirituelles et assez fines souvent, sur ce que disent ces personnes ; il peut soutenir une conversation assez intéressante, mais aussitôt qu’on l’a quitté, il est prêt à soutenir qu’il n’a vu personne. Si la personne avec laquelle il s’est entretenu quelques moments auparavant rentre et lui demande s’ils se sont vus, le malade répond négativement. Il ne peut se rappeler les noms des gens qu’il n’a pas connus avant sa maladie et, chaque fois qu’il les revoit, il les prend pour des inconnus.

Bref, la mémoire est bornée à ce qui s’est passé avant la maladie ; mais ce qui est arrivé après le commencement de l’affection s’efface du souvenir du malade. Le contraste qui existe entre l’amnésie pour les faits récents et le souvenir des choses passées avant la maladie est frappant. — Un malade, par exemple, décrivait très bien ses voyages ; il les décrivait avec tant de relief qu’il excitait l’admiration de chacun, et tout ce qu’il racontait, ce n’était pas de la fan-