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action, de son désir, de son vouloir, quelque nom qu’on préfère ? La résistance ne se sent pas en elle même, mais par la puissance déployée qu’elle contrarie. Je ne puis pas me quitter moi-même pour passer dans le ressort d’un dynamomètre et mesurer directement sa force résistante. — La vraie puissance déployée est « toute morale », dit W. James ; par exemple, il ne faut qu’un effort tout moral pour résister à une douleur, pour renoncer à un plaisir, pour chasser une idée agréable. — Mais comment admettre une force toute morale qui a des points d’application physiques ? Même quand je résiste à une douleur, il y a, en réalité, un effort nerveux et cérébral, sinon musculaire ; et à vrai dire, l’effort musculaire se produit aussi par diffusion : pour garder le silence et le calme apparent pendant une insulte, il faut faire un tel effort physique que la sueur coule du front et qu’on éprouve ensuite plus de fatigue qu’après avoir soulevé des poids de cent kilogrammes. L’énergie qu’on prétend toute mentale est donc en même temps cérébrale, et le fiât, au lieu d’être prononcé seulement dans la sphère de la volonté immatérielle, est un déploiement d’énergie physique capable, dans certaines circonstances où l’émotion esta son comble, de briser tout d’un coup la machine cérébrale.

Concluons qu’on n’a pas même apporté un commencement de preuve contre ce sentiment d’énergie déployée dans le cerveau qui accompagne le vouloir déterminé à se réaliser, c’est-à-dire la représentation d’un mouvement particulier à laquelle s’ajoute, par le consentement intérieur, la force totale du cerveau.

II — Examinons maintenant en elle-même la théorie des sensations afférentes, qu’on pourrait appeler la théorie de l’effort passif, pour voir si elle constitue au moins une hypothèse plausible.

D’abord, cette théorie ne semble précise que parce qu’elle est exclusive et artificielle. Le ganglion nerveux, même le plus élémentaire, n’est pas un point indivisible ; le mouvement s’y fait en une multitude de sens ; qu’est-ce donc s’il s’agit de la masse cérébrale ? Où finit au juste l’afférent et où commence l’efférent ? On ne peut se figurer le cerveau comme un point à partir duquel tous les courants tracent un angle subit. Il y a beaucoup d’arbitraire et de provisoire dans le schématisme des mouvements nerveux. L’existence de cellules spécialement motrices et de cellules spécialement sensorielles est également très contestée. Le docteur Hughlings Jackson dit, avec raison, que le corrélatif physiologique de tout processus mental est un processus à la fois sensoriel et moteur. Il est vraisemblable que les processus sensoriels et moteurs, à leur tour, seront finalement exprimés en termes d’une distinction plus fondamentale : les chan-