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sensations. L’idée du saut à la corde, restant une simple idée, ne fournit pas à l’activité qu’elle commence de quoi l’achever. C’est ce qu’on exprime en disant qu’un désir veut être comblé, rempli, satisfait. De là une double tension : 1o l’idée tend aux mouvements qui dépendent d’elle ; 2o les mouvements commencés par l’idée ne trouvent point des sensations de saut et de jeu capables d’une intensité adéquate à la leur. En un mot, puissante pour réaliser le mouvement, l’idée est impuissante pour réaliser les sensations ; elle produit donc à la fois : 1o un sentiment vif de puissance pour la réalisation des mouvements, 2o un sentiment vif d’impuissance pour la réalisation des sensations ; il en résulte une puissance arrêtée, contrariée, donc effort mental. L’idée est, dans la conscience, comme une sorte de vide aspirant à se remplir et qui n’y parvient pas ; ou plutôt l’idée tend, par le mouvement, à devenir sensation, à acquérir ainsi cette intensité suprême qui est attachée à l’actualité ; mais la représentation, demeurant tout idéale, ne se trouve point adéquate à la réaction appétitive et motrice qu’elle provoque ; il y a donc excès de réaction par rapport à la représentation, et c’est cet excès, selon nous, qui constitue la tension du désir et de l’effort intentionnel.

Maintenant, sous l’effort intentionnel et conscient de son objet, il faut admettre une activité plus profonde et plus fondamentale, qui s’exerce sans se représenter encore le résultat de son action. Elle agit parce qu’elle agit et parce qu’elle a déjà agi. En agissant, elle jouit plus ou moins vaguement d’elle-même. En agissant, elle rencontre aussi des obstacles qui ont pour résultat l’effort spontané, commencement de la peine. On peut donner à cette activité primordiale le nom de volonté, mais c’est une volonté sujet qui, à proprement parler, n’a pas encore d’objet et n’est point encore représentative. Elle n’enveloppe qu’une sourde conscience d’agir, un sourd bien-être attaché à l’action et un sourd malaise attaché à la limite de l’action, conséquemment à l’effort mental. Nous ne pouvons avoir sur le fond des choses que des formules symboliques, mais ce qui est certain, c’est qu’on ne comprend pas l’existence sans quelque action qui la manifeste, ni le plaisir ou la douleur sans une facilité ou difficulté dans cette action. D’autre part, comment et pourquoi agir ou faire effort si on ne sent rien et si on n’a pas quelque conscience de ce qu’on sent, de ce qu’on fait, de ce qu’on produit ? Le psychologue arrive donc à ce cercle : « Il faut agir pour sentir et il faut sentir pour agir. » Il n’y a d’autre moyen d’en sortir que d’admettre, dans l’être primordial, une unité immédiate de l’agir et du sentir, unité qui se révèle dans l’effort mental.

Les sciences physiques peuvent et doivent supprimer toute