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A. FOUILLÉE.le sentiment de l’effort

sentiment de passion, la conscience inséparable de réaction. Réalité, en effet, c’est actualité, actuation, action. L’affirmation est la conscience réfléchie de ce sentiment non contrarié ou plus fort que ce qui le contrarie, et il est très vrai de dire que la volition, l’affirmation, l’action, la motion, tout cela est identique à l’origine. Enfin il y a de tout cela dans toute idée ; si l’idée ne se réalise pas, ne s’actualise pas, ne s’affirme pas jusqu’au bout, jusque dans les muscles et les membres, c’est que quelque autre force l’arrête en chemin.

Les trois moments de toute fonction mentale enveloppent donc toujours une conscience d’activité : 1o activité se sentant modifiée et passive (sensation) ; 2o activité jouissant ou souffrant du rapport de son nouvel état à son état antérieur et à son état total (émotion de plaisir ou de peine) ; 3o activité réagissant pour conserver ou écarter le nouvel état (appétition ou volonté). C’est ce que nous appelons le processus appétitif. Les découvertes physiologiques, eussent-elles pour résultat de ramener toute impression produite sur la conscience, c’est-à-dire toute sensation, à un courant afférent, n’empêcheront pas la conscience même de s’apparaître comme activité réagissant contre les obstacles, comme appétition ou volonté, accompagnée d’un sentiment de travail cérébral.

Resté à savoir quel est le caractère essentiel de la tendance ou tension qui se trouve au fond de toute appétition, et aussi de tout effort mental. Par exemple, lorsqu’un enfant désire jouer, qu’est-ce qui constitue l’impulsion intérieure par laquelle il est entraîné ? — Voici, selon nous, ce qu’on peut dire sur ce difficile sujet. D’une part, la représentation du jeu possible provoque une réaction volontaire et motrice dans le sens de cette représentation. L’idée d’un mouvement en étant le début, l’idée intense et exclusive d’un mouvement entraîne le mouvement réel. La conscience trouve donc, dans la seule idée concrète d’un mouvement, la première condition suffisante et adéquate de ce mouvement même. Aussi, lorsque l’enfant se représente le saut à la corde, il a conscience d’un mouvement commencé qu’il dépendrait de lui de continuer jusqu’au bout, mais qui est arrêté. Il y a ainsi supériorité de la représentation sur le mouvement réel, et c’est la conscience de cette supériorité qui produit le sentiment de puissance motrice. Mais, sous un autre rapport, il y a sentiment d’impuissance à réaliser pleinement, par le moyen d’une pure idée, les sensations et émotions de plaisir attachées au jeu : il ne suffit pas à l’enfant de se représenter la corde et le saut pour actualiser pleinement les sensations que produirait la corde enveloppant le corps de son cercle mouvant, ni l’ivresse attachée à ces