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sations, l’effort mental appliqué à un objet, l’effort cérébral correspondant et surtout l’effort musculaire, si bien qu’il peut paraître que les sensations, ici, sont tout. Mais il n’en est rien. Quelque irreprésentable et inimaginable que soit l’agir, nous le distinguons nettement du pâtir par une conscience immédiate qui, pour n’avoir pas les formes spéciales de la représentation, n’en est pas moins une conscience très réelle, et qui même est la condition intérieure de toute représentation, la flamme vivante du spectacle interne qu’elle éclaire par le dedans.

Comment donc, et jusqu’à quel point, l’activité mentale peut-elle devenir un sujet d’étude pour le psychologue ? — La représentation a pour première condition une certaine discontinuité ou intermittence des états de conscience, qui produit leur différenciation en moments et même en parties, qui donne ainsi à chacun d’eux une sorte d’individualité ou de forme distinctive, qui enfin rend les états de conscience susceptibles : 1o de reproduction ; 2o d’association avec d’autres états ; 3o de classification avec d’autres états du même genre, pour cela même de connaissance proprement dite. Or, l’action appétitive qui constitue la vie même est constante et sans véritables intermittences ; elle est toujours présente tant que nous existons et présente à tous nos états successifs ; elle ne peut donc être ni vraiment reproduite par le souvenir, ni associée et classée avec d’autres faits du même genre, car elle est sui generis. Il en résulte qu’elle n’est pas proprement objet de connaissance. Mais s’ensuit-il que, ne la connaissant pas, nous l’ignorions ? Nullement. Ferrier et James Ward ont dit avec raison : « Il ne peut y avoir ignorance que de ce dont il peut y avoir science ». L’antithèse entre science et ignorance est une opposition appartenant au seul côté objectif de nos états de conscience, au seul domaine des représentations d’objets ; cette antithèse est donc beaucoup moins large que l’antithèse plus générale entre les facteurs subjectif et objectif de notre conscience, auxquels elle ne doit plus s’appliquer. En un mot, d’une part, nous avons conscience immédiate du subjectif, c’est-à-dire de l’action et du sentiment, de leurs qualités propres et de leurs degrés divers d’intensité, qui y introduisent un commencement de différenciation ; mais nous n’en avons ni vraie science ni ignorance ; d’autre part, nous avons science ou ignorance des objets de nos sensations et représentations. Mais nous pouvons avoir la science des effets produits par l’action et le sentiment sur la qualité, la quantité, la succession et la durée de nos représentations ; et c’est par ce moyen indirect que les actions et sentiments rentrent dans le domaine de la science psychologique ; la psychologie les étudie