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F. PAULHAN. l’art chez l’enfant

puisse espérer qu’on la trouvera parfaitement opérée chez l’enfant. Si chez l’admirateur d’un roman, il est souvent difficile de faire le départ entre le plaisir d’artiste causé par l’impression même du beau, et l’impression vulgaire causée par les événements eux-mêmes, tout à fait analogue à celle que produira la lecture d’un fait divers ou une séance à la cour d’assises, il ne faut pas s’attendre à ce qu’il soit très facile de démêler tout à fait au début de la vie une impression purement artistique. M. Pérez nous raconte, par exemple, comment trois petites filles, trois sœurs, envisageaient chacune à son point de vue, le plaisir de la toilette. « Pour l’aînée, Adèle, morte du croup à l’âge de cinq ans, la parure et les amusements n’avaient aucun attrait. Elle était entièrement absorbée par l’amour de ses parents. Sa toilette d’été était une jolie robe d’indienne blanche, mouchetée de noir, que sa mère lavait et repassait le samedi, pour que l’enfant fût propre le dimanche. Cette robe servait ensuite les autres jours de la semaine. Adèle, déjà raisonnable, la salissait le moins possible, en classe et à la maison, pour ne pas trop fatiguer sa maman. L’après-midi du samedi, la petite n’allait pas à l’école, puisqu’on lui lavait son unique robe. Pas d’autres soucis chez cette aimable enfant que d’éviter des ennuis à sa mère, et surtout à son père qu’elle aimait passionnément ».

Chez la seconde sœur, au lieu de l’indifférence nous trouvons une aversion profonde pour la parure, mais il s’agit bien évidemment pour elle d’une question non de beauté, mais de commodité : « Cette pétulante et jolie petite brune était folle de jeux, de bavardages et de chansons. Elle ne pouvait tenir en place. L’expérience ayant montré à Hélène combien une robe neuve est embarrassante et gênante quand on a toujours envie de courir et de sauter, elle ne faisait aucun cas de sa toilette. Elle n’a pas souvenir d’avoir été particulièrement contente à propos de costumes neufs. Elle pleurait quand on lui en mettait un… Vous eussiez ri de voir cette enfant leste et si sémillante transformée quelquefois en petite vieille rechignée parce qu’elle avait chemise neuve ou bas neufs : elle marchait pliée en deux, les bras ballants, l’air malheureux et même stupide. »

La troisième sœur, au contraire, montre dès son jeune âge un goût très décidé pour les beaux vêtements. Allons-nous trouver chez elle le sentiment du beau ? Je le crois ; mais s’il y est, il est en tout cas fort mélangé d’impressions toutes différentes ; un peu de vanité peut-être, l’amour de la propreté, la jalousie, le désir de l’affection, l’instinct d’imitation, et cette dernière influence doit être considérable. M. Pérez nous apprend que sa mère, très complaisante pour elle, la laissait librement voltiger dans la maison, pendant