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Peu à peu cette activité sans but qui se remarque si fréquemment chez le jeune enfant, s’organise, elle donne naissance à plusieurs genres d’occupations ; si d’un côté elle peut être considérée comme la source de l’art, d’un autre côté rien n’empêche de voir en elle un apprentissage à des combinaisons de mouvements qui deviendront plus tard utiles, et constitueront une forme ordinaire de l’activité, et peut-être un métier. Mais ne nous occupons que de l’art. L’activité sans but plaît à l’enfant ; si elle lui donne des impressions agréables, il tend à les répéter, il acquiert ainsi des habitudes, il apprend à jouer, les premières formes de l’art dramatique se montrent et se précisent. Chacun a les jeux des enfants présents à l’esprit et il n’est pas nécessaire d’y insister.

Une forme de l’art qui paraît fort importante à certains égards, c’est la rêverie, elle est naturelle aux enfants chez qui l’esprit est relativement développé et qui conçoivent plus facilement qu’ils n’exécutent, soit que leur adresse physique reste inférieure à leur imagination, soit comme cela est, je crois, plus fréquent, que les circonstances de la vie ne peuvent, à cause de son jeune âge, ou pour d’autre raisons, répondre aux désirs de l’enfant. On ne rêve que de ce que l’on n’a pas, et l’enfant qui pensera à des joies dont il est privé, prendra l’habitude d’exercer son imagination et en viendra à imaginer avec plaisir même des événements pénibles ; c’est encore l’exercice « désintéressé » d’une fonction vitale, qui se manifeste, la rêverie n’est qu’une réflexion sans but, faite pour le plaisir.

La rêverie est au jeu ce que le jeu est à l’acte ; dans l’acte, la tendance se manifeste pleinement ; dans le jeu elle se manifeste surtout par des phénomènes psychologiques, en même temps que par certains mouvements corporels naturellement amenés par l’état de l’esprit ; dans la rêverie, l’état psychique seul persiste, les mouvements disparaissent complètement, ou du moins ceux qui sont destinés à satisfaire la tendance. Ils sont remplacés souvent par des mouvements ou par des artifices divers destinés à l’exciter. Il est très commode pour faire naître en nous une rêverie agréable de produire une légère excitation vague et diffuse des sens ou de l’esprit, l’excitation produite est ainsi employée par chaque esprit suivant sa nature propre et éveille chez chacun de nous des images variées et des sentiments quelquefois opposés. J’imagine que c’est un effet de ce genre qui produit le plaisir que les fumeurs trouvent à l’acte de fumer. J’ai beaucoup usé de la rêverie pendant mon enfance et je me souviens

    à un autre point de vue et avec d’autres arguments, mais se rapportant à une question voisine de celle que j’examine, dans l’ouvrage, très riche en faits et en idées, de M. Souriau sur l’Esthétique du mouvement.