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gence à la pierre, bien que le pouvant, et il a laissé faire la nature. Et il se demande, au point de vue de l’esthétique, si c’est à Dieu ou à la structure organique qu’il faut rapporter la laideur ou la beauté des êtres. Pour lui c’est la nature qui est seule responsable. Comme les parlementaires modernes, il écarte toujours du débat le chef du pouvoir, qui préside et ne gouverne pas. En autres termes, il élimine le souverain infaillible, comme s’il n’admettait que la loi aveugle et inconsciente, avec ses aberrations flagrantes et ses monstrueuses iniquités, acceptées par les optimistes comme des conditions mystérieuses de l’ordre universel. Autant qu’on peut discerner ses intentions dans les obscurs recoins de son œuvre, il restreint prodigieusement le rôle du créateur, et donne pleins pouvoirs à la nature.

L’œil d’un inquisiteur découvrirait aisément l’impiété dans la pénombre de cette philosophie naturelle, où le paradoxe se renouvelle, comme un perpétuel défi à la tradition orthodoxe. À propos de ce que Dieu a fait et de ce qu’il aurait pu faire, nouvelle question d’esthétique. Qu’au lieu d’être faits comme ils sont, les hommes soient faits autrement, ayant par exemple le visage sphérique, percé d’une seule ouverture pour les aliments. Pour ce qui est de la simplicité, dit-il, ils seraient bien plus beaux qu’ils ne sont avec les cinq organes des sens. Si Alphonse le Savant n’a pas dit le mot qu’on lui attribue comme une grosse impiété, Gomez Pereira était capable de le dire. Il n’est point en extase devant l’œuvre de six jours, comme Galien qui poussait jusqu’à l’hyperbole son admiration pour le mécanisme compliqué de l’économie animale. Critique judicieux et profond, il ne pouvait être optimiste, ni professer cette admiration banale d’où est née l’esthétique, qu’on définit pompeusement la science du beau, et qui, quand on y regarde de près, ne paraît compatible ni avec l’unité de Dieu ni avec l’unité de l’espèce humaine.

Sur la question de lieu comme attribut de la substance quantitative, il répond à un docteur anonyme, que Dieu était libre de permettre aux Saints et à la Vierge d’occuper un espace dans le monde, s’ils y revenaient ; ce qui semble accuser une foi médiocre à l’apothéose des âmes. Répondant au même sur l’impénétrabilité des substances, il se déclare partisan des nominaux, sic ego qui partibus nominalium faveo. Déclaration hardie en ce temps et dans un milieu où, le platonisme aidant, le réalisme régnait partout. La matière première est néc de l’imagination des réaux ; et de la même provenance sont tous ces attributs de la substance qui ont pris corps avec les adjectifs et les participes qui les désignent. La maladie n’est rien sans le malade. Les notions des objets acquises au moyen des sens sont distinctes de la substance ; elles émanent de l’expérience et de la raison. De l’analyse