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GUARDIA.philosophes espagnols

psychologique, l’auteur s’élève à la métaphysique religieuse : il touche au mystère de la trinité et au dogme de l’existence de Dieu, laquelle est de foi, bien que la science ne l’ait pas prouvée, etsi fide creditum sit, scientia assequutum non est.

Après une autre digression théologique où il s’agit de Dieu, de son fils le médiateur et de saint Jean-Baptiste, il s’excuse d’avoir franchi les bornes : sed de his non plura ; metas enim physicæ transgredimur. Ce n’est pas lui qui se fût avisé de démontrer géométriquement le mystère de la transsubstantiation. Mais la réfutation en règle du dogme de l’École sur l’existence de la matière première l’oblige d’empiéter sur le terrain de la théologie, et il ne paraît aucunement gêné dans ses incursions : En vérité, dit-il, je ne puis comprendre les dires des plus éminents théologiens. Ils confessent que les éléments n’entrent point dans la composition des mixtes, et que l’homme est constitué par deux parties essentielles, la matière première et l’âme raisonnable. Or, cela ne se peut ; en effet, d’où viendrait à l’homme tout ce qui tombe sous les sens et le corps lui-même ? Comment l’âme immatérielle produirait-elle la matière ? N’est-il pas plus vraisemblable qu’elle communiquât à la matière par elle informée la spiritualité, si elle en était capable, que la corporéité ? Et après de longs développements, il ajoute avec une feinte indulgence : Je soupçonne les grands théologiens, tout occupés de tant de choses divines, et entièrement appliqués au salut des âmes humaines, d’avoir dédaigné d’examiner à fond plus d’une fois les choses naturelles ; de là leurs faux pas, indeque nonnunquam lapsos fuisse. On voit qu’il en fait la même estime que des saints docteurs, dont les raisons lui semblent le plus souvent très pauvres, tout en respectant leur autorité, salva tantorum virorum authoritate.

Tout ce qui suit est empreint d’une ironie amère, où l’on devine, malgré l’équivoque de l’expression, un esprit en révolte contre la doctrine dictée, imposée par le dogme. Il met en conflit Dieu et la nature, soutenant cette thèse, que si le monde était tout différent de ce qu’il est, on trouverait naturel ce qui semble aujourd’hui surnaturel et miraculeux. Et il se demande, en reprenant un point d’esthétique déjà examiné, s’il est des choses naturellement belles et des choses naturellement laides. Par la volonté de Dieu, non seulement tout ce qui est pourrait être au rebours ; mais les hommes pourraient trouver beau ce qui est laid, et laid ce qui est beau.

Ce serait le renversement de la réalité et de la raison.

Les théologiens assez pénétrants pour aller jusqu’au fond de ces ténèbres sillonnés d’éclairs, ont dû voir dans ces pages, en apparence énigmatiques, l’inspiration d’un génie infernal. La nature et Dieu