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GUARDIA.philosophes espagnols

de la vitalité est si développé chez ce médecin-philosophe, qu’il tend à reconnaître une faculté de nutrition aux pierres, pour expliquer leur accroissement. Sa théorie de la sensibilité et de l’intelligence semble proclamer à la fois l’indépendance et la dépendance de l’âme. Elles ne peuvent s’exercer sans les organes. C’est l’âme qui sent et qui pense ; mais par les organes qui lui transmettent les images. Cette psychologie est d’un philosophe naturaliste. C’est celle d’Aristote, suivie par Locke, et par Leibniz dont le correctif paraît inutile. Descartes s’y est conformé dans le traité des passions de l’âme.

S’il était possible de retrancher tous les appareils de la sensibilité, y compris le sens génital, il ne resterait que les sens internes de la nutrition et les sensations correspondantes de la faim, de la soif, du besoin d’air vital, de la plénitude et de la vacuité, l’homme, en un mot, tel que le rêvait notre auteur, le corps surmonté d’une sphère percée d’une ouverture pour l’entrée des aliments.

Jamais les stoïciens n’eurent l’idée d’un pareil magot. Que ferait l’âme dans ce corps ?

Pour achever de démontrer la nécessité des organes de la sensibilité et de la pensée, ce prétendu spiritualiste emprunte la preuve topique à la pathologie. Quand, dit-il, la région antérieure du cerveau, où se réfléchissent les images des objets absents, souffre une altération, distemperiem patitur, si l’altération est forte, le patient peut avoir le délire, l’esprit ne pouvant plus remplir sa fonction normale, par la faute de l’instrument, tout comme lorsque la vitre en couleur d’une fenêtre nous empêche de percevoir la vraie nuance des objets. Puis, se résumant, il répète que les organes humains par lesquels s’exercent la sensibilité et l’entendement ne sont que les instruments de ces opérations immanentes, qu’il faut considérer comme des manières d’être de l’âme raisonnable.

Privée de ces organes, l’âme ne saurait ni sentir ni penser. Comment donc sentirait-elle et penserait-elle hors du corps ? Cette conclusion s’impose, et aboutit à tout le contraire de la thèse ou du moins du titre du traité final. Dans les passages essentiels, l’auteur ne conclut pas ; il laisse au lecteur le soin de conclure. Si l’âme informe la matière organique, c’est apparemment parce qu’elle ne peut s’en passer.

Les conditions des fonctions psychiques sont organiques. L’âme est une abstraction pure, comme la conscience, comme la raison, comme la maladie, comme tant d’autres entités qui ne représentent que des manières d’être, des modes de la vie. Concevoir l’âme comme une substance pure, élémentaire, sans matière, était de