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sont incompatibles, hors du dogme de la création ex nihilo. En définitive, le panthéisme, né du monothéisme, n’est que la revanche de la nature ; c’est la divinité réduite en miettes, le commencement de l’athéisme.

La conclusion légitime de cette série d’hypothèses d’un monde renversé, c’est que tout est pour le mieux, tel qu’il est. Ainsi il est plus conforme à la nature que les âmes raisonnables soient immortelles plutôt que les âmes des bêtes. Si les âmes animales survivaient aux corps, elles seraient oisives, ne pouvant penser, et, faute de corps, elles n’accompliraient point les fonctions naturelles, quæ si manerent, otiosæ essent, cum intelligere non possent.

Ces considérations sont plaisantes, malgré le sérieux du sujet. L’auteur, avec sa gravité habituelle, invoque, à l’appui de son optimisme, le verset de la Genèse où Dieu se complaît à reconnaître l’excellence de son œuvre. Si la citation biblique corrobore l’impiété qui circule dans ces pages audacieuses, il faut convenir que, pour l’ironie, Socrate n’était qu’un petit garçon à côté de ce diabolique contempteur. Gomez Pereira accorde que tout est possible à Dieu, hormis ce qui implique contradiction. La vérité dans la science, la justice dans la morale sont des divinités permanentes. Épicure mettait les dieux hors de la nature, de la loi naturelle. Lucrèce a merveilleusement expliqué ce perpétuel ostracisme. Si notre auteur n’ose pas mettre Dieu au nombre des impedimenta de la philosophie, il fait en revanche bon marché des divinités mineures, des entités qui ne reçoivent qu’un culte bénévole. Il déclare qu’il n’y a point de fonction sans organe, ce qui paraît plus raisonnable que d’affirmer que l’organe naît de la fonction ; mais il ajoute subtilement : l’âme seule, l’âme raisonnable, dans ses principales opérations, à savoir la sensibilité et l’intelligence, n’use point d’instruments propres, mais d’instruments intermédiaires, instrumentis propriis non utente, ut quibus opera fiant, sed per quæ ut media exsequantur. Il y a là un emploi très fin de ce qu’on appelle en grammaire l’instrumental direct et indirect.

Quant aux animaux, toutes les fonctions s’accomplissent par des organes dont les formes elles-mêmes font partie ; en autres termes, les opérations vitales ont des appareils et des organes propres. Sans doute. Mais qui ne sait que les organes faisant grève, l’âme ne peut plus rien dans son usine ? Sentir et penser sont deux fonctions qui ne peuvent se faire sans ces organes per quæ, comme le prouvent l’asphyxie, l’apoplexie, la syncope, l’épilepsie, la léthargie et d’autres états pathologiques qui mettent l’embargo sur l’âme. Dans tous les cas, il y a corrélation entre l’opération et l’instrument. Le sens