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GUARDIA.philosophes espagnols

Aristote admettait une intelligence générale à côté des intelligences individuelles. Son paraphraste ne peut digérer pareille doctrine. Il s’en explique dans une introduction substantielle, qui est un des morceaux les plus remarquables de cette philosophie critique. En résumant toute sa psychologie, Gomez Pereira s’efforce d’expliquer la pensée d’Aristote, travestie par les réaux, obscurcie par des commentateurs impertinents, qui ont épaissi les ténèbres, en imaginant une intelligence active et une intelligence passive.

Cette paraphrase trouverait sa place dans un cours de philosophie où l’on rechercherait les origines de cette science psychologique qui a été compromise et obscurcie à plaisir par l’imagination subtile des rêveurs et des mystiques. Pour faire l’histoire des métamorphoses et des pérégrinations de l’âme à travers les dogmes religieux et philosophiques, on ne saurait trouver un meilleur guide. Jamais Aristote, dont le traité est fondamental, n’a eu un interprète plus indépendant, plus pénétrant ni plus sévère que ce médecin-philosophe, qui traite si durement Averroës pour avoir faussé, adultéré la pensée aristotélique.

Après ce beau commentaire, si original, vient le traité de l’Immortalité de l’âme. Si l’auteur n’était pas des plus graves, on pourrait croire à une mystification. Ce traité, tant de fois promis, n’est point du tout le couronnement de l’édifice ; il en est la girouette.

L’auteur se plaît à démolir toutes les raisons alléguées en faveur de l’âme, y compris celles d’Aristote, traitant avec une dédaigneuse ironie celles de Platon et tout ce qu’il englobe sous la dénomination d’amplifications littéraires. Quant aux arguments qu’il produit lui-même en faveur de la thèse, le seul qui mérite quelque attention est celui-ci : L’âme informe le corps, et le corps ne cesse de se renouveler par un double courant de molécules, celles qui entrent pour entretenir la flamme vitale, et celles qui sortent étant usées. L’âme s’attache aux particules de rénovation et se détache des particules de déchet. Donc, pouvant se passer des unes, de celles qui s’en vont, elle pourra se passer des autres, quand il n’en viendra plus ; et n’ayant plus rien à faire dans le corps, elle s’envolera et vivra désormais par elle-même et pour elle-même, sans organes.

Voilà sa démonstration, aussi ingénieuse que dérisoire. Ce qui prouve bien que ce singulier traité de l’Immortalité de l’âme n’est qu’un gâteau pétri de miel et parsemé de sésame, fait exprès pour calmer les hurlements de Cerbère à la triple gueule, c’est qu’il se termine par une paraphrase de la sixième églogue de Virgile, et un commentaire des plus singuliers d’un passage de la Vie d’Auguste par Suétone, où l’on voit que l’auteur serait bien aise que l’on crût